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Irael - Palestine

Le combat pour la démocratie

Entretien avec Azmi Bishara

Mardi 15 mai 2007

Mouvements : Israël peut-elle être un modèle démocratique pour la société palestinienne ?

Azmi Bishara : Israël est ce que nous appelons une démocratie ethnique, c’est une démocratie pour un groupe, pas pour tous ses citoyens. La citoyenneté n’est d’ailleurs pas le critère pour jouir pleinement de ses droits, le critère de première importance est la judéité, le fait d’être Juif. En vertu de quoi, Israël n’est pas un modèle démocratique non seulement pour les Palestiniens, mais pour le monde entier. Historiquement, Israël est l’État des Juifs du monde entier ce qui signifie qu’un Juif à Paris ou à Brooklyn, au Yémen ou au Maroc, a plus de facilités avec cette « démocratie » que moi-même qui suis un arabe, de nationalité israélienne.

Israël est, certes, technologiquement moderne, mais en ce qui concerne sa réalité politique et culturelle, elle régresse et devient archaïque et anti-moderne. Ceci est dû au fait que ce n’est pas simplement entre État et religion qu’il n’y a pas de séparation, mais entre nation et religion. Nous avons certainement ici la plus importante contradiction de la modernité israélienne. Voici le premier aspect d’une mise en relation d’Israël et de la Palestine sur la base de la question démocratique. Le second est que les Palestiniens n’ont pas pu bénéficier de ce qui est, malgré tout, démocratique en Israël. Pour un non-Juif, subir l’expérience de la colonisation israélienne exclut les autres côtés qui, autrement, sont positifs. C’est pourquoi l’expérience de la démocratie israélienne ne peut être une source d’admiration pour les Palestiniens. Israël est une démocratie communautaire, la démocratie, à l’intérieur, est identifiée à et par la communauté, la communauté des Juifs. Aussi avons-nous affaire à une démocratie fermée, non pas ouverte et qui, si elle l’était, serait alors prête à accueillir d’autres communautés. En cela Israël est un cas très radical, très très radical.

Si l’on se pose, maintenant, la question de la démocratie en général, je ne vois pas ce qu’ici il y a à dire. Une telle chose n’existe pas, il n’y a que des démocraties concrètes et particulières à la fin du XXe siècle. Nous n’avons de démocratie en général qu’en tant que concept, un concept qui, de surcroît, est vraiment un phénomène lié à l’histoire. Il change de contenu suivant celle-ci. La démocratie se développe, bouge, évolue, et nous n’avons vraiment l’expérience que de ce que nous avons, aujourd’hui. Ceci dit, est-ce que la démocratie libérale est possible sans une énorme classe moyenne, sans que soit annulée la division radicale entre pauvre et riche ? Je ne pense pas que cela puisse fonctionner autrement. Contrairement aux pays européens, nous n’avons pas une assez importante classe moyenne, et c’est un frein très important à la démocratisation. Mais on peut aussi voir que le modèle démocratique ne fonctionne pas partout, qu’il n’est pas facilement exportable.

M : Ce modèle est non seulement issu de la culture occidentale, mais il est lié à un modèle économique…

A. B. : Bien sûr, mais nous devrions discuter ce qui différencie modèles occidentaux et modèles orientaux et qui fait qu’ils ne peuvent pas se rencontrer, et que cette différence est un antagonisme. Pour ma part, je ne pense pas que cette différence soit insurmontable. Les cultures doivent se rencontrer, elles doivent se débloquer pour se développer en échangeant. Nous ne sommes pas différent de l’Occident, nous sommes des êtres humains qui avons un développement historique et des conditions économiques différentes. Ensuite, la démocratie n’est pas en soi une propriété occidentale. Si la démocratie a été produite historiquement en Europe, cela n’empêche pas que nous pouvons prendre le modèle et essayer de nous débrouiller avec, aujourd’hui. Quand vous dites que la démocratie ne peut pas émerger en pays arabes, je suis d’accord avec vous. Elle ne le peut pas d’elle-même, mais nous pouvons l’imposer. Elle peut être implantée en pays arabes.

Maintenant, il y a deux possibilités. Pas trois. Il y a, dans le tiers monde, un processus d’individualisation, d’atomisation, qui naît de l’intérieur, l’individu se trouve lui-même et il constitue une entité indépendante face à l’État, exactement comme en Europe. Cependant, dans le monde entier, inclus l’Europe, et depuis la Seconde Guerre mondiale, les États sont des États policiers, tous. L’État d’aujourd’hui est plus policier que les États arabes au début du siècle. Et il est centralisateur. C’est la modernité. Le despotisme oriental, hier, n’était pas centralisé comme les États européens, aujourd’hui. Il était centralisé à la capitale, mais les gens pouvaient vivre au-dehors de l’État. Ce despotisme tolérait une liberté dans ses marges. Désormais, il y a un processus général d’individualisation, dans le monde entier. L’individu fait face à l’État. Alors, soit nous démocratisons l’État et nous pouvons vivre avec lui en tant qu’individu, et nous avons des garanties qui s’appelle les Droits, les droits civiques, de toutes sortes, et ces droits, partant de peu, se développeront historiquement. Ce mouvement fait que les relations entre l’espace public et l’espace privé évolueront, elles aussi, graduellement. Soit nous n’y parvenons pas, et ce sera un retour vers un fonctionnement communautaire, vers la famille, les clans, la tribu, vers un espace privé qui serait alors beaucoup plus vaste qu’il n’est quand il coexiste, comme en ce moment, avec l’espace public. Dans ce second cas, l’espace public et l’espace privé s’excluent l’un l’autre. Totalement. C’est ce que nous trouvons dans le tiers monde. Il y a une réaction contre la modernité par un retour vers une structure organique. L’islam, la famille, tous ses fonctionnements dictatoriaux. Nous avons ces deux choix, ou une démocratisation, ou un retour, avec un fonctionnement pré-moderne pour nous protéger de la modernité.

Je pense que c’est une véritable question de choix. je pense, personnellement, en tant qu’intellectuel, que nous avons à faire le premier choix. Le choix de ne pas revenir en arrière. Mais c’est une très dure mission dans le tiers monde. Et ce ne sera pas importé, tout prêt, du « centre d’information américain ». Il y a un véritable combat avec notre réalité et avec notre calendrier pour discerner les facteurs qui nous conduiraient vers la démocratie, des facteurs qui sont des obstacles à celle-ci. Ici les Palestiniens sont confrontés à tous les obstacles qui existent dans le tiers monde, obstacles économiques, le manque d’une grande classe moyenne, la bipolarisation entre riches et pauvres, la préservation d’une structure organique. Mais, le plus gros problème que nous avons en Palestine est que nous n’avons pas d’État. C’est un problème de souveraineté. La balance entre les individus et l’autorité est totalement déséquilibrée. Il n’est même pas clair que les problèmes intérieurs avec l’Autorité viennent de la société civile elle-même, ou de la situation conflictuelle imposée par Israël. Mais la plus importante mission est de libérer la nation de l’occupation étrangère et de ne pas retarder la question de la démocratie. L’on ne retarde rien dans l’histoire, on doit négocier avec les nécessités historiques, et cela jusqu’à ce que nous ayons un État. L’État et la démocratie doivent émerger ensemble. Là est notre combat.