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NIGER

Le Sahara nigérien face aux convoitises, acteurs en belligérance et Enjeux des richesses minieres

Samedi 8 mars 2008, par H B Tcherno

Qui convoite le Sahara nigérien ? Pourquoi ? Comment se manifeste cette convoitise ? Avec quelles résistances ? Au vu de cette proposition il m’est apparu que le sujet excède ma compétence et que je ne pourrais jamais accéder aux informations nécessaires à son traitement. Puis, je me suis dit que même le ministre des mines trébucherait peut-être sur la question, parce que les deux ressources essentielles qui suscitent espoirs à l’intérieur et convoitises à l’extérieur sont aujourd’hui l’uranium et le pétrole. Mais par mesure de prudence, et pour éviter de vous noyer dans un déluge de banalités, je me suis rabattu sur le thème central de cette rencontre : « Enjeux politiques et géostratégiques du conflit armé dans le Nord : quelles solutions pour une paix durable ? »

Le thème proposé porte sur les richesses minières sahariennes, les convoitises qu’elles suscitent et les moyens déployés par les puissances extérieures pour se les approprier, y compris par le biais des rébellions qu’elles peuvent susciter.

Au vu de cette proposition il m’est apparu que le sujet excède ma compétence et que je ne pourrais jamais accéder aux informations nécessaires à son traitement. Puis, je me suis dit que même le ministre des mines trébucherait peut-être sur la question, parce que les deux ressources essentielles qui suscitent espoirs à l’intérieur et convoitises à l’extérieur sont aujourd’hui l’uranium et le pétrole. Or il s’agi-là de deux minerais stratégiques, monopoles d’un nombre restreint de multinationales dont la stratégie reste le plus souvent opaque même pour leurs propres gouvernements à plus forte raison pour les nôtres.

On peut d’ailleurs se demander, quant aux autorités nigériennes, si la situation a beaucoup changé depuis ces temps où la Gazette NucléaireN° 54/55 rapportait ceci :« Au début de 1981, le Spécial Uranium de la Gazette Nucléaire (N° 41/42) révélait une lettre d’un conseiller de la CEE en Afrique qui montrait l’état d’ignorance quasi complet du président du Niger sur les causes de la crise de marché de l’uranium et donc de la baisse de la rente versée à l’Etat nigérien. De cette ignorance, les dirigeants nigériens sont en grande partie responsables, pour ne pas s’être donné les moyens de contrôler le marché de cette substance. Mais cette ignorance était voulue par les responsables français. » Rien n’a vraiment changé comme le prouve cette autre information : « En 37 ans AREVA a extrait 100 000 tonnes d’uranium dont seulement 3 000 tonnes sont revenues au Niger (soit 3%). En valeur, l’uranium a rapporté pendant ce temps 2 260 milliards de Frs CFA à AREVA contre 291 milliards de CFA au Niger »

On peut donc avancer que l’ignorance dans ce domaine est la chose du monde la mieux partagée, et qu’on peut s’autoriser à en parler, ne serait-ce que pour prendre conscience de l’ampleur de la tâche qui reste à réaliser pour qu’enfin le Niger profite de cette ressource.

Mais par mesure de prudence, et pour éviter de vous noyer dans un déluge de banalités, je me suis rabattu sur le thème central de cette rencontre : « Enjeux politiques et géostratégiques du conflit armé dans le Nord : quelles solutions pour une paix durable ? »

Au cours de la « Journée de réflexion sur le conflit au Nord » tenue le samedi 11 Août 2007, j’avais traité des « Enjeux stratégiques autour du Sahara à travers l’Histoire » et rappelé que, tout au long de l’histoire connue, les pouvoirs de la région s’étaient intéressés à la situation du grand désert et ont essayé d’en contrôler les routes et les zones habitées, parce que contrôler les voies sahariennes et ses points d’eau, c’était avoir la haute main sur l’un des commerces les plus fructueux des temps anciens, celui qui partait du sud du Sahara et aboutissait aux pays du Maghreb et de là au Moyen Orient , à l’Egypte et à l’Espagne. Les Garamantes, les Puniques (Phéniciens), les Romains, les différents Etats et Califats d’Afrique du Nord, le Kanem, le Songoi, le Borno, le Sultanat de l’Ayar, et même les grandes confédérations touareg comme celle des Inussufa (Massufa), ont tenté et réussi à contrôler ne serait-ce qu’une partie du trafic saharien. Les colonisateurs européens, qui voulaient prendre possession de ce désert pour s’emparer des richesses qu’ils lui supposaient, ont parfois émis des idées grandioses sur le Sahara comme celle du chemin de fer transsaharien. De simple voie d’accès aux richesses, le Sahara acquérait non seulement une fonction de jonction entre zones d’occupation, mais devenait également une source directe de richesses grâce à l’exploitation de ses matières premières.

Le Sahara d’aujourd’hui est devenu véritablement l’une des zones les plus convoitées du monde, principalement à cause des nombreuses richesses que renferment ses entrailles.

8M de km2 dont la péninsule arabique ne représente qu’un prolongement géologique. Des ressources minières nombreuses, plus d’une trentaine de minerais dont l’uranium, enjeu mondial, le pétrole et le gaz, tout autant stratégiques. Et cela dans un monde de plus en plus effrayé à l’idée que le pétrole du Moyen Orient est menacé d’épuisement !

On voit d’ailleurs avec quelle frénésie les grandes puissances s’intéressent aux ressources de l’Antarctique et même de l’Arctique. Elles anticipent déjà le probable recul des glaciers suite au réchauffement climatique et posent des jalons pour le futur dans l’espoir de participer à l’exploitation des richesses minières.

On comprend aisément que, en dehors de toute autre considération, l’enjeu saharien soit d’abord économique. Car le Sahara est l’une des régions les moins exploitées du monde. Il est riche de plus d’une trentaine de minerais dont le pétrole et l’uranium. Au Niger, les métaux dont les réserves ont été estimées sont l’uranium, l’or, le charbon, le sel, le calcaire, le gaz, le titane, le vanadium, les phosphates et les zéolites etc. Le fer, le pétrole et un nombre important d’autres minerais y sont présents (cuivre, phosphates, zinc, tungstène, manganèse, plomb, mercure, baryte, sel, étain, wolfram, argent, pierres précieuses etc.)

Dans la mesure où les grandes puissances, après avoir épuisé leurs réserves naturelles, se positionnent partout pour le contrôle des ressources du monde, on ne peut s’étonner que le Sahara soit devenu un enjeu important dans leur stratégie.

Mais quid de la situation que vit le Sahara nigérien ou plus généralement le Niger aujourd’hui ?

Peut-on réduire les évènements actuels à une causalité extérieure, à des ambitions mercantilistes de groupes d’intérêts internationaux ou de grandes puissances, ou ne faut-il y voir que des contradictions intérieures dont certaines forces extérieures cherchent à tirer profit pour avancer leurs pions ?

La rhétorique développée par le pouvoir central nigérien réduit la rébellion actuelle à la volonté d’un groupe de trafiquants en tous genres de se faire respectables en développant un argumentaire politique. D’autres voient dans la rébellion un simple mercenariat actionné par des intérêts étrangers, français et libyens plus précisément. Pour d’autres enfin, il s’agirait de la résurgence du mouvement sécessionniste des années 1990, plus ou moins manipulé par des forces étrangères.

La rébellion de son côté convoque tantôt le registre national (d’où le nom MNJ), tantôt celui du régionalisme (la région d’Agadez), tantôt le registre identitaire (l’ethnie touareg). Ce dernier thème est d’ailleurs le seul argumentaire que décline l’ancien ministre Rhissa Boula à l’intention de l’opinion internationale, renouant ainsi avec ses amours des années 1990.

Qui est derrière cette rébellion et pourquoi ?

La rébellion nigérienne provient-elle de la volonté de puissances extérieures de contrecarrer la volonté du Niger de mettre en valeur ses ressources minières ; et le rebelles ne sont-ils que les mercenaires de ce complot extérieur ?

Je préfèrerais répondre en historien en disant qu’à chaque événement historique correspond nécessairement un faisceau de causalités qu’il faut chercher à reconstituer quitte à les hiérarchiser pour découvrir causes principales, causes secondaires et causes accessoires. Un événement de cette envergure ne peut se réduire à une seule causalité et c’est faire preuve de dogmatisme ou d’imprudence que de lui appliquer l’analyse réductrice qui a trop souvent cours ici ; c’est ne pas tirer les leçons de la première rébellion et ouvrir la porte à d’autres après celle que nous vivons aujourd’hui.

On m’a posé la question : Qui convoite cet espace ? Je réponds : par principe tout le monde ! Les logiques d’Etat n’ont pas d’assise morale. De nos jours, tout Etat responsable doit être à tout instant aux aguets parce que le danger peut venir des amis comme des ennemis, des grands comme des moins grands. L’Afrique dans son ensemble est un continent convoité, parce qu’il est actuellement le plus riche en ressources indispensables au monde industrialisé, mais aussi le plus faible et le plus soumis à la domination extérieure. La méfiance s’impose donc à l’égard de toutes les puissances sans exception. Dans ce monde dominé par les multinationales qui n’ont pas d’autre dieu que le profit, tout est possible de la part des puissances, grandes ou moyennes. De Gaulle aurait dit que la France n’a pas d’amis mais des intérêts. « Toute posture géopolitique, écrit François Thual, se ramène soit à une volonté de réaliser des ambitions, soit à une volonté de contrer des ambitions » (Méthodes de la géopolitique, p. 20). S’emparer des ressources d’un espace ou interdire à d’autres de s’en approcher ! Il ajoute :« Chaque fois qu’il y a tension, conflit, guerre, négociation, crise, il faut se poser les questions suivantes : Qui veut quoi ? Avec qui ? Comment ? Et pourquoi ? Ce petit vade mecum, ce petit questionnaire, cette grille de lecture peut paraître« simplette ». Pourtant, l’horizon de la géopolitique, quitte à décevoir certains, se résume à la réponse à ces questions. Identifier les acteurs, analyser leurs motivations, décrire leurs intensions, repérer les alliances en gestation ou, au contraire, les alliances en voie de déconstruction, que ce soit au niveau local, régional , continental ou international, tel est bien l’horizon méthodologique de la géopolitique. Il ne s’agit pas de reprendre ou d’appliquer une sorte de méthode Coué dans le domaine de la géopolitique, mais il s’agit d’élaborer une méthode » (Thual, p. 4.).

La méthode Coué consisterait à répéter que les rebelles sont de simples bandits sans se rendre compte qu’ils posent des problèmes politiques, et que cet aspect de leur propagande a probablement attiré des jeunes qu’on ne saurait assimiler à des trafiquants.

Les postures manichéennes ne remplaceront jamais l’analyse froide des faits, des événements et des situations.

Pourquoi, dans un pays où la liberté politique est une réalité, où chacun peut exprimer ses opinions et s’organiser pour les défendre, des citoyens s’autorisent-ils à prendre les armes contre les autorités légales ?

L’explication première qui vient à l’esprit est qu’un Etat faible est comme une zone de basses pressions qui attire les vents de tous les côtés. Si des gens peuvent se permettre de prendre les armes sans avoir épuisé ou même exploré les voies légales, c’est soit par désespoir, soit parce qu’ils sont conscients de la faiblesse de l’Etat dans l’accomplissement de sa mission de sauvegarde de la sécurité du pays. Cette faiblesse de l’Etat dans la maîtrise de l’espace national suscite des vocations putchistes chez tous ceux qui voudraient, par la force brutale, imposer leur volonté au plus grand nombre. C’est cette même logique qui conduit aux coups d’Etat dans des Etats pourtant démocratiques.

La faiblesse de la cohésion nationale de son côté rend le contrôle de l’espace national difficile et précaire. La force brutale peut réprimer et donner l’illusion de l’efficacité, mais elle ne remplace jamais un espace apaisé par la symbiose et l’entente de ses fils.

Avons-nous suffisamment tiré les leçons de la première rébellion pour refonder la politique sécuritaire de l’espace nigérien dans sa totalité ? Nous sommes- nous posés des questions sur la nécessité de la construction nationale ? Si ces deux responsabilités du pouvoir avaient été correctement remplies, une rébellion, même financée et manipulée de l’étranger n’aurait pu tenir face à la réaction des forces de l’ordre et à la réprobation nationale unanime.

Lorsque l’on considère les zones qui furent ou sont troublées par des rébellions armées on constate

1° Qu’il s’agit de zones très faiblement peuplées ou quasiment vides de populations.

2° Que ces zones sont à proximité de frontières inhabitées et peu ou pas contrôlées.

3° Que ces zones inhabitées sont parcourues par des pasteurs.

4° Qu’elles sont désertiques ou semi désertiques.

5° Que dans la vie nationale ces populations et ces zones sont considérées comme en marge du pays, d’où les difficultés de l’administration pour y affecter des fonctionnaires.

6° Que ces zones représentent les deux tiers de l’espace national.

7° Que tous les espoirs du pays se concentrent sur elles pour découvrir des ressources susceptibles d’améliorer le sort de l’ensemble de la population nigérienne.

Ces régions et ces populations qui étaient le véritable trait d’union du reste du pays et d’une grande partie de la région avec le monde extérieur, ont subi une dramatique marginalisation et une sévère paupérisation avec l’occupation coloniale qui a détourné les voies commerciales vers l’Atlantique.

On est obligé de s’étonner que les pouvoirs publiques ne se posent pas la simple question suivante : pourquoi seules les zones à économie pastorales sont affectées par les accès de fièvre séparatiste ou identitaire ? Pourquoi les populations touaregs de l’Adar, du Gobir, de Tillabéri, de l’Imannan, de Taghazar et du Damargu, qui forment la grande majorité des Touareg n’ont-elles pas pris les armes ?

Si cette question avait été posée, les responsables se seraient probablement penchés sur l’analyse concrète des situations concrètes de l’Ayar, de l’Azawagh et du pays Tubu, au lieu de se contenter des rapports administratifs qui, trop souvent, se limitent à chanter les réalisations grandioses du pouvoir central et l’adhésion massive des populations à sa politique.

Si les rebellions affectionnent les zones frontalières et désertiques c’est que le pouvoir central y est pratiquement absent. Il faut malheureusement reconnaître que nos gouvernements successifs se sont toujours préoccupés des zones les plus peuplées, c’est-à-dire le quart sud et ont négligé la plus grande partie du pays. Ils ont été les dignes héritiers du colonisateur avec son concept de « Niger utile ». Malheureusement pour ce concept, il y a aujourd’hui l’uranium et les promesses du pétrole qui se situent hors du « Niger utile ».

La mise en place d’une véritable politique des frontières est impérative. Plus le désert offrira des ressources, plus grandes seront les menaces, des menaces auprès desquelles la rébellion du MNJ ne serait qu’un jeu d’enfants. Le Niger est nu sur ses frontières algérienne, libyenne, tchadienne et une partie de sa frontière malienne. N’importe quel mouvement avec un minimum d’armement, de ressources financières et de détermination, peut s’y installer et faire sa loi. A l’époque précoloniale, les souverains de nos pays installaient le long des frontières peu sûres des ribats, des camps fortifiés habités par des soldats et leurs familles, avec autour d’eux, des paysans et des marchands. Ces zones étaient généralement exemptées de toute taxe, d’où l’attirance qu’elles exerçaient sur les immigrants. C’est une politique qui mérite d’être ressuscitée le long de toutes nos frontières. Il est vrai qu’il y a le problème de l’eau, mais l’eau existe au Sahara et en abondance. J’ai même lu quelque part que le Sahara pourrait être l’une des réserves d’eau douce les plus importantes de la planète et que l’eau qui s’y trouve pourrait alimenter sa population pendant 300000 ans ! Ce qui veut également dire que les convoitises sur le Sahara pourraient venir demain de l’extension de la guerre déjà commencée pour le contrôle des réserves d’un liquide mille fois plus utile que le pétrole, l’uranium et les diamants.

Il existe un sérieux contentieux avec la Libye et la dernière intervention de ce pays pour empêcher les recherches pétrolières dans le Mangeni qu’elle revendique sont à prendre en considération, de même que l’accord franco-libyen pour la recherche de l’uranium dans la zone libyenne limitrophe. On nous dit que la Libye avait autrefois obtenu des autorités nigériennes l’autorisation pour ses soldats de s’abreuver au puits de Tummo et qu’après un retrait vers le sud de la garnison nigérienne, les Libyens s’y sont installés et considèrent aujourd’hui ce puits comme libyen.

La frontière avec le Tchad est également susceptible de provoquer des frictions car elle n’est pas encore bornée, pas plus que celle du Mali.

Il est urgent et impératif que le pays mette en place une politique de viabilisation accélérée des frontières, de toutes les frontières, après avoir confirmé internationalement leurs tracés. Au lieu d’attendre qu’elles soient troublées pour investir des milliards dans le combat contre les rébellions, il faut investir pour les humaniser, créer des routes, installer des villages, des écoles, des dispensaires et des garnisons et y rendre ainsi toute rébellion risquée.

Une nouvelle politique nationale s’impose donc, une politique d’intégration qui prenne en compte toutes les régions, sud, nord, est, ouest, riches ou pauvres, puisque les pauvres d’aujourd’hui peuvent devenir les riches de demain. Si Agadez se trouve au centre géographique du Niger, cela veut dire que la moitié du Niger se trouve au nord de la latitude d’Agadez et qu’il faut en tenir compte. Il faut considérer Shirfa et Iferwan non pas comme les dernières localités de notre pays, mais comme ses portes d’entrées, celles qui doivent montrer ses efforts de développement, ses succès, sa cohésion. Les zones les plus proches des frontières doivent être dans tous les cas celles qui doivent bénéficier de la sollicitude du pouvoir central, parce que c’est elles qui sont soumises aux tentations et aux pressions extérieures.

Nous avons dit plus haut que les zones secouées par les crises sont les zones pastoraleset qu’on peut aisément saisir les racines historiques de leur frustration sinon de leur révolte. Les causes en sont multiples. Contentons-nous de dire que nous avons les moyens de les enrayer par une politique d’intégration intelligente qui allie l’éducation, la solidarité nationale, la justice y compris par la discrimination positive comme cela s’est vu dans plusieurs pays du monde. Le succès d’une telle politique est d’autant plus assuré qu’il s’agit de régions très peu peuplées. Il est vrai qu’entre les décisions du pouvoir central et leur traduction sur le terrain, s’intercalent de nombreux obstacles liés à la corruption et à la faiblesse de la conscience nationale chez beaucoup d’agents de l’Etat. C’est là un aspect qui est rarement pris en compte. En réalité, les statistiques et rapports administratifs ne nous disent pas toujours la vérité et souvent ils induisent en erreur tout simplement. C’est le cas dans toutes les régions, mais c’est encore plus le cas dans les zones pastorales où l’éloignement du pouvoir central autorise parfois les responsables à pratiquer une politique digne de la période coloniale.

Que veulent Alambo et ses hommes ?

Le MNJ invoque, pour justifier son activité
La mal gouvernance et les injustices sociales dans le pays.

La politisation de l’armée

La marginalisation des zones septentrionales, peu peuplées, au profit de celles du sud, plus peuplées et donc électoralement plus attractives.

Les conséquences néfastes de l’activité minière qui aggrave la question foncière et ne rapporte rien à la population locale.
Le non respect des accords de paix de 1995, notamment en matière de réalisations destinées au bien-être des populations etc.

Ces revendications prennent parfois un accent purement régionaliste lorsque le MNJ réclame ce que réclamaient les groupes rebelles des années 1990 en matière militaire (un Etat-major des Unités de Sécurité Saharienne basé à Agadez ; la conduite des affaires par des cadres originaires des régions sahariennes etc.), ce qui équivaudrait purement et simplement à entériner une sécession.

Quant au gouvernement nigérien, il exige purement et simplement une reddition. D’abord isolé dans son intransigeance, car la totalité des partis politiques y compris ceux au pouvoir, étaient pour une sortie de crise négociée, le gouvernement a fini par rallier à sa cause la presque totalité de la classe politique et une partie de la société civile. Le comportement de la société française Areva dans cette crise, la formation libyenne de certains dirigeants de la rébellion, le caractère opaque de la présence libyenne au Maulid d’Agadez qui a précédé l’éclatement de la rébellion, et le désir, pour beaucoup, de ne pas s’opposer à la position du chef de l’Etat, expliquent ce retournement. La pose des mines jusque dans la partie sud du pays est venue conforter les partisans d’une demande de reddition pure et simple.

C’est ainsi que nous nous sommes installés dans l’impasse. Et l’impasse s’accompagne de pourrissement. Et le pourrissement favorise l’activité des rebelles qui, il y a peu, ont frappé à 500 km au sud de Tamgak, occupant Tanout et y faisant la loi, emportant des gendarmes et un préfet après avoir tranquillement commis les dégâts qu’il leur a plu de perpétrer.

Plus le rayon d’action de la rébellion prend de l’amplitude, plus grands seront les dégâts humains et matériels, plus lourde sera la facture des dépenses militaires, plus fréquentes seront les bavures et plus profondes les blessures à panser.

Il faut savoir réduire une rébellion très tôt, et si on n’a pas les moyens de le faire, négocier et tirer les leçons de cette faiblesse du moment pour préparer un avenir moins incertain.

De tout ce qu’a dit le MNJ n’y a-il vraiment rien à tirer ? Certes les statistiques montrent bien que, dans l’absolu, la région qu’il dit défendre ne reçoit pas moins que les autres, bien au contraire ! Mais ce qui est destiné à la région parvient-il aux populations ? Au plan administratif, l’organisation appliquée aux régions sédentaires peut-elle convenir à des régions de nomadisme ? Certes que non ! Peut-on vraiment parler d’administration dans ces zones ? Le gouvernement ne voit-il pas que la politique sécuritaire tous azimuts du colonisateur, continuée après 1960, a laissé la région exsangue et profondément paupérisée, sans perspectives pour une jeunesse particulièrement attachée à son terroir ?

La décision du gouvernement de consacrer 15% des ressources minières aux régions productrices ne vaut-elle pas reconnaissance, au mois partielle, de l’existence d’un problème ? Certaines régions du nord vivent comme il y a cent ans malgré la proximité des usines d’Arlit, d’Akokan et de Tchiro. Qu’y a-t-il d’étonnant si des jeunes impatients se laissent entraîner dans l’aventure sur la base de cette frustration ?

La question de la marginalisation sur la base du poids électoral doit également nous interpeller. La démocratie que nous vivons signifie liberté, certes, mais pas justice, puisqu’elle peut allègrement marcher de paire avec l’injustice. Dans un pays multiethnique, la loi du nombre ne doit pas déterminer qui peut participer au pouvoir et à la prise de décision. Il faut nécessairement, impérativement, trouver une voie pour que toutes les régions et toutes les ethnies, quel que soit leur nombre, sentent qu’elles ont voix au chapitre et sont impliquées dans les décisions nationales.

Le discours du MNJ met donc le doigt sur certains maux dont souffre notre pays depuis son indépendance, et qui ont d’ailleurs été dénoncés par beaucoup de Nigériens avant même que quelqu’un pense à une rébellion. S’agit-il d’un simple maquillage destiné à tromper sur ses véritables motivations ? Peu importe ! L’essentiel est qu’il nous réveille sur l’existence de certains maux de notre société qui peuvent servir demain de leviers à d’autres contestations.

On comprend parfaitement le refus de principe du gouvernement de négocier avec des gens qui se sont placés hors-la-loi. Mais les rebelles Corses aussi sont des hors la loi, de même que les Irlandais de l’IRA, les Basques de l’ETA, les Tigres de Sri Lanka, les Moros des Philippines, les FARC de Colombie, les Maoïstes du Népal, et pourtant des pouvoirs capables de réduire leur espace en poussière ont accepté de négocier avec eux. Le gouvernement actuel est d’autant plus apte à faire la paix qu’il n’a pas ou peu de responsabilité dans les erreurs commises invoquées par la rébellion.

L’essentiel pour la Nation est que les rebelles acceptent un certain nombre de fondamentaux :

L’unité nationale et l’intégrité du territoire.

Le caractère national des ressources du sous-sol.
La nécessaire solidarité nationale.

L’unicité de l’armée et des forces de sécurité.

L’unicité de la représentation nationale hors de nos frontières.

Le caractère national de l’administration centrale.

Une fois ces fondamentaux acceptés, il sera possible de discuter avec un mouvement qui, après tout, appelle à la négociation et réfute toute idée séparatiste, ce qui n’était pas le cas des premières rebellions avec lesquelles on a pourtant fini par négocier.

Le gouvernement est potentiellement plus fort que la rébellion et il a pour lui la légitimité nationale et internationale. Il a le soutien de la Nation pour tout ce qui touche à l’intégrité du territoire et à l’unité nationale. Mais il a des responsabilités que la rébellion n’a pas. Négocier n’est ni déchoir ni reculer. Il s’agit de mettre fin aux troubles en jouant cartes sur tables, pour qu’aucune région de ce pays ne reçoive un traitement de faveur, mais pour que l’équité soit la base de la conduite des affaires du pays. Ceci pour que, enfin, plus de 47 ans après l’indépendance, le pays s’asseye, cogite, et mette en chantier une politique d’édification d’une nation unie, apaisée et sécurisée.

Djibo HAMANI


Voir en ligne : www.alternative.ne