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NAIROBI 2007

Le Forum social mondial va sortir des sentiers battus au Kenya

Mercredi 20 septembre 2006, par Mouhamadou Tidiane KASSE

Lors des premières éditions du Forum social mondial à Porto Alegre, les Africains n’étaient qu’une trentaine, noyés parmi plusieurs dizaines de milliers de personnes. À la quatrième édition à Mumbai (2004), leur délégation était plus fournie, mais ils n’étaient guère plus de 500 dans une marée d’altermondialistes qui dépassaient la centaine de milliers. Plus tard cependant, les organisations africaines ont demandé que le FSM se tienne en Afrique. Malgré le scepticisme des uns et des autres jusque parmi les délégués africains eux-mêmes à pouvoir accueillir une telle mobilisation populaire sur le continent, la requête a accroché. La tenue du FSM en Afrique deviendra réalité en 2007. Il reviendra au Kenya de l’accueillir. Derrière l’enthousiasme, les défis ne manquent pas aux Africains.

Un démarrage laborieux

Jusqu’au Forum social mondial polycentrique de Bamako, en janvier 2006, les rendez-vous du mouvement social africain n’ont jamais été que des conclaves quasi confidentiels. Le Forum social africain de Lusaka, en décembre 2004, n’a guère polarisé plus de mille personnes. Pour organiser une marche dans les rues de Lusaka, il n’y avait pas plus d’une cinquantaine de personnes. Une interdiction de manifester fera d’ailleurs avorter la procession squelettique qui n’avait pas parcouru 500 mètres hors du centre de conférence.

Le premier Forum social ouest-africain de Conakry (novembre 2004) avait laissé entrevoir d’intéressantes capacités de mobilisation locale (environ 2000 personnes), mais d’un événement à un autre, le mouvement social africain manifeste à ce niveau des limites récurrentes qui restreignent sa portée. Le manque d’ancrage populaire est évident. Nulle part, en dehors du dernier FSM de Bamako qui a revendiqué quelque 30 000 participants, l’événement n’a pu constituer un temps fort dans l’agenda local. Comme s’il y avait une rupture entre le quotidien des populations et ce bouillonnement en vase clos.

Le mouvement social africain manque encore de visibilité, même si la pertinence des idées, des causes défendues et des mobilisations initiées répond aux principales urgences qui interpellent l’Afrique dans la construction d’un monde meilleur. En fait, les passerelles tardent à se mettre en place pour permettre à cette dynamique d’irradier jusqu’à la base et offrir une mobilisation réellement populaire.

D’un rendez-vous à un autre, le débat peine à sortir du cercle des initiés. Les panels rassemblent pour l’essentiel les mêmes personnes, ressassant des idées plusieurs fois partagées ensemble, peinant à avoir un ancrage sur le réel. La forme d’organisation mérite d’être interrogée, les acteurs à mettre en scène gagneraient aussi à être reconsidérés.

Mise en orbite

Membre du Forum social marocain, Said Saadi laissait entendre au Forum social africain de Lusaka la nécessité d’un changement : « nous sommes à un tournant après trois éditions. Le forum doit se renforcer en s’ouvrant à tous les autres groupes qui luttent sur le terrain. Les syndicats par exemple. Il faut éviter d’apparaître comme un groupe d’ONG qui aime voyager et qui ne travaille pas sur le terrain. La tenue du forum doit être un moment de dresser le bilan et de tracer le programme de lutte pour les années à venir, avec un chronogramme précis. » Dans le même tempo, Abdouramane Ousmane du groupe Alternative-Niger ajoutait : « Il est temps qu’on développe des alternatives qui prennent en compte les aspirations des populations à la base, avec un ancrage démocratique qui leur donnera toute leur légitimité ».

Le Forum social reste bien sûr un espace où la participation ne se prédétermine pas. Il s’agit de convergences que nul ne cherche à formater, mais à organiser de manière à ce que les idées se fécondent réciproquement et que les expériences d’ici puissent inspirer les mutations d’ailleurs. Mais des tendances peuvent être favorisées. Les ruptures ne peuvent être réelles sans que les véritables acteurs du changement ne soient au cœur du processus. Que ce soient les syndicats où les mouvements paysans, les forces sociales aujourd’hui organisées en Afrique sont fort peu présentes. Les thématiques discutées dans les panels et ateliers les englobent, le futur d’un « autre monde possible » se dessine à travers leurs perspectives, mais leur dynamique propre ne se fait pas sentir.

Depuis cinq ans qu’elle se structure dans l’altermondialisme, le mouvement social africain n’a pas encore identifié le moteur de sa mise en orbite. Des acteurs clés du changement sont identifiés, les pesanteurs et les voie de « libération » sont spécifiées, mais les forces qui peuvent s’approprier la dynamique restent marginales par rapport à l’événement. Le « Tribunal des femmes » lancé à Lusaka en 2004, repris à Bamako en 2006, peut-il pousser à la mobilisation qui changera la condition de la femme, au-delà des dénonciations et des condamnations habituelles des violences et les négations de droits de toutes sortes qui, à force d’être ressassées, risquent de finir en anecdotes. ? Le « Forum des jeunes » sera-t-il cet espace de conscientisation où l’avenir se construira une identité autour de valeurs en rupture avec les politiques aujourd’hui dénoncées ? La fougue est souvent dans le discours, mais le chemin du changement n’est ni encombré ni clairement balisé.

De Bamako à Nairobi

En prenant le flambeau à Bamako en janvier, le mouvement social kenyan se trouve devant un chantier où il y a encore beaucoup à faire. Au niveau de la structuration du mouvement social africain comme au niveau de la conscientisation et de la mobilisation des forces sociales. A l’intérieur des pays, mais aussi dans la dynamique de solidarité régionale.

De Bamako à Nairobi, un des mots d’ordre est de favoriser des « passerelles » pour donner une réalité voire une identité au mouvement social africain. De bâtir une solidarité continentale qui dépasse les clivages linguistiques et les accointances sous-régionales qui ont beaucoup marqué l’évolution du FSA à travers des polémiques et des conflits internes. Bamako a aussi identifié une piste : au-delà de toutes les résistances politiques, culturelles, économiques, sociales qui fondent l’altermondialisme, un des enjeux de Nairobi sera de relancer le processus d’établissement d’une Charte de l’unité des peuples et du futur africain, dont les bases avaient été posées il y a seize à Arusha. D’ici là, un processus consultatif doit se mettre en place à travers tous les fora sociaux et au niveau des mouvements sociaux, avant d’aboutir à des rencontres de réflexion et de synthèse et une assemblée de validation à Nairobi en 2007.

* Mouhamadou Tidiane KASSE coordonne Flamme d’Afrique, un quotidien publié par Ipao et Enda. Abrégé du texte original publié par Pambazuka News (http://www.pambazuka.org/fr/)