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La ploutocratie, nouvelle classe dirigeante du capitalisme sénile

Les nouvelles classes dominantes et la fin de la civilisation bourgeoise

Mercredi 9 juillet 2008, par Samir Amin

Dans les pays capitalistes, la « bourgeoisie » telle qu’on la connaissait a disparu : désormais, l’ordre social veut que la puissance financière et économique soit prépondérante.

La logique de l’accumulation est celle de la concentration et de la centralisation croissantes du capital. La concurrence, dont l’idéologie du système vante les vertus réelles mais tout également imaginaires, opère toujours ; mais elle n’est plus que la concurrence entre un nombre de plus en plus restreint d’oligopoles. Elle n’est ni la concurrence « parfaite », ni la « transparence » qui n’ont jamais existé et dont le capitalisme réellement existant s’éloigne toujours davantage au fur et à mesure de son développement. Or nous sommes parvenus à un niveau de centralisation des pouvoirs de domination du capital tel que les formes d’existence et d’organisation de la bourgeoisie telles qu’on les a connues jusqu’ici sont abolies.

Les capitalistes, nouvelle classe dirigeante

La bourgeoisie était constituée de familles bourgeoises stables. D’une génération à l’autre les héritiers perpétuaient une certaine spécialisation dans les activités de leurs entreprises. La bourgeoisie construisait et se construisait dans la longue durée. Cette stabilité favorisait la confiance dans les « valeurs bourgeoises », leur rayonnement dans la société toute entière. Dans une très large mesure, la bourgeoisie, classe dominante, était acceptée comme telle. Pour les services qu’elle rendait, elle paraissait mériter son accès aux privilèges de l’aisance ou de la richesse. Elle paraissait aussi largement nationale, sensible aux intérêts de la nation, quels qu’aient été les ambiguïtés et les limites de ce concept manipulable et manipulé.

La nouvelle classe dirigeante, celle du capitalisme contemporain tel qu’il paraît émerger de l’évolution des trente dernières années, sort brutalement de cette tradition. Le scandale d’Enron et quelques autres du même type ont sans doute contribué à révéler la nature de la transformation. Non que la fraude ait été une pratique sans précédant, bien sûr. Ce qui est beaucoup plus grave ­ et nouveau ­ c’est que la logique dominante des options de gestion du « nouveau » capitalisme produit nécessairement la recherche maximale de l’opacité, de la tromperie, voire de la falsification systématique des informations. Les uns qualifient les transformations en question de financiarisation, les autres de déploiement d’un actionnariat actif rétablissant pleinement les droits de la propriété (voire d’un actionnariat populaire). Ces qualifications laudatives, qui d’une certaine manière légitiment le changement, omettent de rappeler comme il le faudrait que l’aspect majeur de la transformation concerne le degré de concentration du capital et de centralisation du pouvoir qui lui est attaché.

« Self made men »

Sans doute la grande concentration du capital n’est-elle pas chose nouvelle. Dès la fin du XIXe siècle ce que Hilferding, Hobson et Lénine qualifieront de capitalisme des monopoles est une réalité. Sans doute cette concentration a-t-elle été ­ depuis ­ toujours en avance aux États-Unis sur les autres pays du capitalisme central. La formation de la très grande firme, devenant transnationale, est amorcée aux États-Unis avant la seconde guerre mondiale et se déploie triomphalement après ; l’Europe suit. Sans doute également l’idéologie étatsunienne du « self made man » (les Rockefeller, Ford et autres) tranche-t-elle avec le conservatisme familial dominant en Europe. Comme également le culte de la concurrence « vraie », quand bien même n’existerait-elle pas ; ce qui explique les lois « anti-trusts » précoces ­ dès 1890 ! Mais par delà ces différences réelles dans les cultures politiques concernées, la même transformation dans la forme d’existence de la nouvelle classe dirigeante du capitalisme caractérise aussi bien l’Europe que les États-Unis.

Samir Amin est économiste et président du Forum mondial des alternatives