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GRANDES CRISES, GRANDES OPPORTUNITÉS

La crise peut être le salut

Lundi 13 juillet 2009, par Federico Mayor Zaragoza

Ce n’est pas seulement un immense échafaudage économique qui s’écroule mais toute une conception du pouvoir, de ses bases idéologiques. Il faut tenir compte de toutes les dimensions de cet écroulement pour reconstruire avec d’autres matériaux. Et, surtout, remettre dans l’axe même de l’action publique les « principes démocratiques » qui, au cours d’une erreur historique, ont été indûment remplacés par les lois du marché.

Profiter des crises pour changer de cap et de destination. Que ceux qui n’ont pas écouté et ont ridiculisé les recommandations que nous leur faisions, depuis le début de la décennie des années quatre-vingt dix, convaincus qu’un système économique guidé par les intérêts commerciaux au lieu de ceux de la justice est voué au désastre, prêtent attention et ne ridiculisent pas les propositions de changement. Que ne jugent pas à présent ceux qui devraient être jugés. Ils ont été « sauvés » par l’État et ne sont pas autorisés à donner leur avis sur des propositions qui prétendent « sauver » les gens ! Que se taise désormais ceux qui –comme la Banque mondiale, le FMI et l’OMC– n’ont pas élevé la voix lorsqu’ils le devaient.

Après la « bulle technologique » des années quatre-vingt dix, la « bulle immobilière ». Durant tout ce temps où les « fonds souverains » étaient interdits aux pays dans le « système globalisant », ceux qui se trouvaient en dehors ont accumulé d’immenses capitaux, sans tenir compte dans nombre de cas, des conditions de travail ni des droits humains.

C’est une crise du capitalisme et non dans le capitalisme, comme le prétendent, pour poursuivre leur course folle, les plus fervents défenseurs de l’économie de marché qui, en raison de l’absence de valeurs et de règles de bonne gouvernance, a échoué avec fracas.

Il convient, surtout, de ne pas revenir à un « nouveau capitalisme » mais à un nouveau système économique mondial basé sur la justice et contrôlé par des institutions pleinement intégrées dans des Nations Unies entièrement réformées, peut être refondées, qui disposeraient des ressources personnelles, techniques et économiques qui leur permettraient d’agir efficacement et d’appliquer tout le poids de la loi aux contrevenants.

On a parlé dernièrement de la nécessité de réformer d’urgence le Fonds monétaire international… alors que ce qu’il faut réformer c’est le Système des Nations Unies dans leur ensemble, en commençant par y inclure le FMI et la Banque mondiale ainsi que l’Organisation mondiale du commerce, que les États Unis ont placé, en 1992, directement en dehors du cadre des Nations Unies. Pourquoi l’Europe vient-elle de céder le leadership de l’établissement d’un nouveau système économique mondial ? Il ne s’agit pas d’un problème financier mais d’une question politique de grande envergure, que l’UE aurait pu entreprendre avec une autorité plus grande.

De la gouvernance unilatérale qui a prévalu durant la « globalisation » à celle multilatérale. Des Nations Unies fortes, réaffirmées dans leur mission première, jamais réalisée : « éviter la guerre », c’est-à-dire, construire la paix, pour les « générations futures », notre engagement suprême. L’ONU, l’UNESCO –afin que nous ne revenions pas à la paix de la sécurité au lieu de la sécurité de la paix–, la Banque mondiale... tous doivent être réformés et renforcés en tenant compte de leur mandat d’origine. Ce qui est certain, c’est que l’on a essayé de discréditer et de désavouer les Nations Unies et les institutions qui en font partie.

La réglementation des marchés pourra uniquement se produire avec une autorité supranationale adéquate. Et l’élimination immédiate des paradis fiscaux, avec lesquels, les trafics de drogues, d’armes, de brevets, de capitaux, de personnes… pourront également disparaître. Il est clair que les marché ne « s’auto-règlementent » pas, en favorisant dans l’espace supranational, en toute impunité, toutes sortes de transgressions, mafias, etc.

À l’échelle nationale, il convient d’établir rapidement des pactes entre les gouvernements, les partis, les représentants syndicaux et d’entreprises (les pactes de la Moncloa en sont un bon exemple) pour que les bénéfices des avals financiers se fassent sentir rapidement dans la société.

Quelques mesures qui devraient être rapidement adoptées :

• réaliser de grands investissements publics (sources d’énergie ; transports ; production et canalisation d’eau ; production d’aliments par l’agriculture, l’aquaculture et la biotechnologie ; le logement ; …).

• procurer et réglementer le financement de et depuis la ville, indispensable pour promouvoir l’emploi, l’activité commerciale et industrielle, particulièrement celle des PME.

• De même que des fonds considérables ont été trouvés pour le sauvetage des institutions financières, ce sont à présent les citoyens qui doivent être « sauvés » : i) par des prestations familiales (la « bourse famille-école » du Brésil et commencée dans quelques communautés autonomes d’Espagne, est un excellent modèle) ; ii) des prestations aux chômeurs (avec des mesures comme le « revenu de base citoyen », principe général qui pourrait être mis en place en s’occupant d’abord des chômeurs) ; iii) des prestations à ceux qui prétendent mettre en marche un commerce ou une activité commerciale ; iv) à tous ceux qui, avec un peu d’aide, peuvent continuer à financer leurs logements avec leurs hypothèques rééchelonnées ; v) la réalité ne peut pas être transformée en profondeur si elle n’est pas connue en profondeur : par conséquent, développement décidé de la R+D+i, avec une collaboration déterminée des entreprises et des fonds propres de l’UE.

À l’échelle internationale, quelques mesures qui pourraient être adoptées immédiatement :
• les fonds nécessaires seront à disposition pour fournir l’alimentation à l’échelle mondiale et la lutte contre le Sida (vraiment insignifiantes à côté de la quantité des fonds du « sauvetage ») ;
• les objectifs du Millénaire seront également activés, en particulier la lutte contre la pauvreté, en redéfinissant les délais et les quantités et en octroyant, enfin, les aides au développement promises avec l’annulation de la dette extérieure, afin que, entre autres aspects positifs, l’émigration soit, par la suite, volontaire ;
• un sommet des Nations Unies sera rapidement convoqué, où, contrairement à ce qui a été fait en 2005, on ne rognera pas sur les fonds destinés à l’éradication de la faim. (il y avait seulement des moyens pour « réduire le nombre d’affamés au milieu de l’an 2015 » (!…) ;
• considérer rapidement l’application immédiate de formules comme les taux sur les transactions de devises, proposée à nouveau récemment, bien élaborées, aux Nations Unies, et contenues dans la Déclaration sur les sources innovantes pour le financement de « l’Initiative contre la faim et la pauvreté » souscrite le 24 septembre 2008 à New York par les présidents Michelle Bachelet, Lula et Rodríguez Zapatero, et le Ministre des Affaires étrangères, B. Kouchner.

• réduction de l’impact des catastrophes naturelles et provoquées, par la mise en pratique des propositions des Nations Unies de la décennie (1989-1999) et des récentes dispositions à cet égard de l’Union européenne (GAP), pour éviter les effets d’épisodes récurrents (ouragans, inondations, incendies, etc.) qui rencontrent toujours, y compris dans les pays les plus développés technologiquement, un manque total de préparation et une grande vulnérabilité sociale.

• attention prioritaire à l’Afrique, en éliminant d’urgence la honte que représente l’exploitation du coltan (minerai de colombite-tantalite, utilisé dans les ordinateurs et la téléphonie mobile), au Congo et sur le territoire Kivu, ainsi que les situations comme celles de l’Angola –avec tant de richesses exploitées, avec tant de pétrole et de carats retirés de son sous-sol– tandis que la population vit dans la pauvreté avec moins de 2 dollars par jour…

En résumé, il s’agit de faciliter rapidement le passage d’une économie de guerre à une économie de développement global.

La société civile a désormais la possibilité –qui ne se présente pas souvent– de favoriser des transformations radicales. Après tant d’années de recommandations auxquelles on a fait la sourde oreille, de Cassandres, la communauté intellectuelle, scientifique et académique doit, avec autant de sérénité que de rigueur et de fermeté, se faire entendre. C’est le moment de l’exigence, de la participation active –qui peut se faire maintenant sans présence, en utilisant la technologie de communication moderne comme le SMS, Internet… –pour que les gouvernants sachent que les temps de la résignation et du silence sont terminés. Que les sujets se transforment en citoyens, les spectateurs impassibles en acteurs, pour que se produise un changement profond du fond et de la forme dans l’exercice du pouvoir : la grande transition d’une culture de force et d’imposition à une culture de la parole requiert de l’éducation à tous les niveaux et durant toute la vie ; l’encouragement de la créativité et de la diversité culturelle ; la promotion de la recherche scientifique ; de l’hygiène pour tous…

De grandes opportunités, de grandes responsabilités que doivent assumer les citoyens qui ont le plus de choses à apporter au changement. Désormais, le pouvoir citoyen. Désormais, les peuples, les gens. Les crises sont une opportunité d’édifier un monde nouveau, de recentrer les principes éthiques universelles de justice, de démocratie authentique. Ne gâchons pas les opportunités. Nous devons nous souvenir, tous les jours, du sage conseil de Sophocle : « Quand les heures décisives sont passées il est inutile de courir pour les atteindre ».