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Amérique latine

La crise économique est aussi celle du modèle de développement extractiviste

Mardi 17 février 2009, par Eduardo Gudynas

La crise économique qui a débuté aux Etats-Unis atteint maintenant l’Amérique latine et s’exprime tant sur le plan financier que sur celui de la production. Ces derniers mois, les nouvelles sont identiques dans presque toutes les capitales. La baisse des exportations, due à la réduction des achats par les pays industrialisés, se conjugue à une baisse du prix des principaux produits exportés par l’Amérique latine. Le crédit disponible s’amenuise, de même que les marges de manœuvre dont disposent les gouvernements.

En y regardant de plus près, on constate que cette débâcle planétaire est aussi une crise du modèle de développement extractiviste. L’accès aux crédits internationaux et les possibilités d’exporter ne sont pas seuls en cause ; les mécanismes essentiels qui soutiennent le développement basé sur l’extraction des ressources naturelles et leur vente sur les marchés mondiaux chancellent.

De nombreux gouvernements, de Nestor Kirchner en Argentine à Alan García au Pérou, ont bénéficié dans le passé d’un excellent contexte économique, caractérisé par une forte croissance basée sur leurs exportations élevées. Mais, en réalité, , cette conjoncture favorable résultait, dans une large mesure, de facteurs externes (forte demande internationale et prix élevés), et ces gouvernements n’en ont pas profité pour créer un type de développement autonome. Ils ont pratiquement tous opté pour un renforcement de la stratégie économique extractiviste, misant en masse sur l’agrobusiness, le pétrole et le gaz naturel, ainsi que sur les métaux comme l’aluminium ou les alliages de fer. Même le Brésil, un pays qui se présente comme une économie industrialisée, garde un profil exportateur ; les matières premières constituent près de la moitié de ses exportations.

A titre d’exemple, prenons le soja, principal produit d’exportation de pays comme le Brésil, l’Argentine ou le Paraguay. Son prix avait grimpé jusqu’à 600 dollars la tonne. Il a ensuite perdu la moitié de sa valeur, et selon les projections pour les prochains mois, il devrait stagner aux alentours des 300 dollars. Les prix du maïs, du blé et d’autres produits agroalimentaires ont également chuté, et le marché des biocombustibles s’est contracté.

Les conséquences sociales et environnementales de ces chutes de prix sont très claires. Par exemple, et pour rester dans le domaine l’agriculture, celle intensive en capital (par exemple pour l’acquisition de pièces détachées de tracteurs ou de moissonneuses-batteuses ou l’usage intensif de produits agrochimiques) devrait entrer en crise. La solution à ce problème est de miser sur des formes de production dont les coûts sont moindres (la valeur de la terre en particulier), et se limiter aux infrastructures existantes. En Amazonie centrale (par exemple dans le Rondonia, l’Acre ou dans d’autres Etats de l’arc de déforestation amazonien du Brésil), mais aussi dans les régions voisines du Pérou (route interocéanique sud), dans l’est de la Bolivie, l’est du Paraguay et le nord de l’Argentine, la frontière agricole pourrait avancer sur des zones sylvestres. La crise aura de graves conséquences pour l’environnement. Parallèlement, elle frappera de plein fouet l’agriculture familiale et paysanne.

Le commerce agricole international va se trouver confronté à d’énormes difficultés. Le système d’aide est en passe de changer. Dans l’Union européenne, par exemple, la crise économique rend de plus en plus difficile la politique des subsides à l’agriculture ; on envisage d’y imposer des barrières tarifaires classiques pendant qu’aux Etats-Unis, les agriculteurs ont de plus en plus de peine à obtenir des crédits. Enfin, en Chine (l’un des principaux destinataires des exportations latino-américaines), le Comité central du Parti communiste a décidé d’autoriser l’achat et la location de terres par des particuliers, des coopératives et même des entreprises, une décision qui transformera complètement la campagne chinoise. Si, en 2009, ce nouveau capitalisme rural améliore la productivité, il faudra compter sur une chute des importations en provenance d’Amérique latine.

Dans le même temps, la situation va se compliquer pour le Venezuela, la Bolivie, l’Equateur, ainsi que, mais dans une moindre mesure toutefois, pour le Pérou et le Brésil. En effet, ces pays verront leurs revenus diminuer en raison de l’effondrement du prix des hydrocarbures et de la réduction de leurs exportations. De plus, tout au long de l’année, l’exploration, la prospection et l’exploitation de nouveaux gisements (particulièrement au Pérou et en Equateur) connaîtront un ralentissement. La Bolivie, qui freine sa production d’hydrocarbures– elle est même descendue en deça de ses propres objectifs – est maintenant confrontée à une baisse de la demande de la part du Brésil. Parallèlement, les énormes investissements nécessaires à l’exploitation des gisements océaniques du Brésil vont aussi rester en suspens. Conséquence de cette nouvelle situation : faute de crédit, l’entreprise norvégienne chargée de la construction des plateformes pétrolières marines (Sevan Marine) a pratiquement cessé le montage, suspendant ainsi toutes les commandes de Petrobras.

Enfin, les prix des minerais ont eux aussi chuté. Le coup est particulièrement dur pour les pays andins, mais le Brésil et l’Argentine ne sont pas épargnés. Le cuivre, par exemple, a retrouvé son prix de fin 2005. Déjà visibles, les effets de cette tendance ne feront que s’accentuer en 2009 : suspension de nouveaux projets d’investissement, affaiblissement de la petite industrie minière andine (comme c’est déjà le cas au Pérou), aggravation des problèmes de la pauvreté et dégradation des performances environnementales.

Qu’il s’agisse des hydrocarbures ou des minerais on a parfois tenté, par le passé, de compenser la chute des prix internationaux en augmentant de façon massive les volumes extraits, mais les conséquences sociales et écologiques de ce choix se sont révélées extrêmement négatives.A mesure que les problèmes économiques s’aggravent en Amérique latine, la concurrence pour exporter et pour attirer les capitaux internationaux s’intensifie. Par conséquent, les gouvernements se montrent de plus en plus réticents à renforcer les exigences et le contrôle dans le domaine de l’environnement, considérés comme des entraves aux investissements, à l’instar du Brésil, qui cherche déjà à assouplir les règles de protection de l’Amazonie, ou de l’Argentine, dont la présidente, Cristina Fernández de Kirchner, vient d’apposer son veto à une loi qui empêcherait toute activité minière dans les glaciers des Andes.

Ni les gouvernements, ni de nombreux intellectuels, ne semblent prendre conscience du fait que nous sommes face à une crise du modèle extractiviste. Cette idée du développement comme croissance économique garantie par les exportations de biens primaires se heurte désormais non plus uniquement à des limites internes – lesquelles s’expriment sous la forme de conflits sociaux locaux et de dégâts écologiques – mais également à des limites externes. Qu’à cela ne tienne, on s’acharne à aller sur cette voie. Nombre de gouvernements comptent sortir de la crise en appliquant à ces secteurs des stratégies de soutien et de subsides. Pour preuve, les paquets successifs de crédits accordés par le Brésil dans le but d’appuyer les exportations agro industrielles, ou la récente approbation, en Equateur, de la loi minière, qui encourage la production transnationalisée et renoue avec la conception de l’extractivisme d’exportation comme moteur du développement.

Cette question devient une urgence pour 2009 : la stratégie extractiviste, consistant à exploiter la Nature afin d’exporter des matières premières vers les marchés mondiaux, n’est pas durable sur les plans économiques, sociaux et environnementaux. . Par conséquent, les gouvernements, mais également les mouvements sociaux, doivent comprendre qu’il est nécessaire de concevoir des modes de développement structurés différemment. Plutôt que d’exporter des matières premières, il faut les utiliser dans des chaînes de production propres et partagées, où l’on puisse créer de véritables emplois et réduire l’impact social et environnemental.

Source : ALAI, Agencia Latinoamericana de Información, janvier 2008.

Traduction : Chloé Meier, pour RISAL.info.


Voir en ligne : www.risal.info