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La conception zapatiste de l’action politique

Entrevue avec Sergio Rodríguez *

Mardi 17 janvier 2006

La VIe déclaration de la « selva lacandona » rendue publique par l’EZLN au mois de juin dernier a donné naissance à une expérience originale, « l’autre campagne ». Cette initiative mobilise des milliers de personnes, principalement des jeunes.

La VIe déclaration de la selva lacandona est-elle un point tournant pour les Zapatistes ? Quel est son contenu fondamental ?

Il y a une modification substantielle à la fois du sujet auquel s’adresse cette déclaration et du sujet qui la justifie. Il s’agit d’une déclaration fondatrice qui ne s’adresse pas aux peuples indigènes ni à une société civile informelle. Elle ne demande pas seulement l’adoption d’une série de dispositions dans la constitution mexicaine. L’objectif apparaît comme la construction d’un nouveau mouvement social et politique, la naissance d’un mouvement autonome et indépendant de la politique de l’État mexicain et de ses institutions. Un deuxième point fondamental est que ce processus cherche à dynamiser un espace où les gens puissent construire des mécanismes d’auto-organisation. C’est qu’il existe des processus d’auto-organisation très profonds, souterrains, apparus après le soulèvement zapatiste de 1994, mais qui restaient invisibles et qui se révèlent maintenant.


Pourquoi les zapatistes affirment-ils qu’il faut proposer non pas un programme mais un dialogue avec « ceux d’en bas » pour connaître leurs propositions ?

Le premier engagement de l’EZLN est bien d’écouter. Ils le préconisent aussi comme méthode. Qui est à même de faire un diagnostic de ce qui se passe ici ou là ? Évidemment, en tout premier lieu, ceux qui y vivent. Cela tient à l’expérience qu’a connue l’EZLN. Ils sont arrivés dans les communautés, ont pris la parole, ont proposé un programme, une conception politico-militaire et se sont heurtés à un mur. Ils ont finalement réussi à établir le contact avec certains membres des communautés qui leur ont dit : « Vous devez d’abord nous écouter et vous verrez ensuite ce que vous pouvez faire de ce que vous aurez entendu ». Les zapatistes disent qu’ils ont mis dix ans à comprendre le « mode indigène ». Il faut maintenant comprendre les « modes » des différents mouvements sociaux et créer l’espace du dialogue. Mais il ne s’agit pas d’une écoute passive. Il s’agit d’écouter et de construire. On disait « avancer en questionnant ». Il faut maintenant « avancer en écoutant ».


Comment se fait ce dialogue ?

Le plan de travail prévoit des des réunions spécifiques avec les organisations politiques, indigènes, sociales, les collectifs et les ONG et avec ceux qu’ils appellent « les autres », c’est-à-dire ceux qui ne se reconnaissent pas dans le cadre de ces réunions ou n’ont pas pu y assister. Au total quelque 45 500 personnes ont participé à ces réunions, ce qui est considérable quand on sait que le Chiapas est très loin du centre du pays. Dans les réunions, chacun a le même droit de parole. Puis on fait une sorte de compte-rendu de l’ensemble des interventions, pour que les participants s’assurent que l’essentiel de leur intervention a bien été consigné. S’ils ne donnent pas leur accord, ce n’est pas publié. Dès qu’il y a accord, le compte-rendu est communiqué à tous ceux qui ont signé la VIe déclaration de la selva lacandona et nous le publions sur le site de « l’autre campagne », pour que tout le monde, participant ou non, puisse en prendre connaissance.

Qui participe ?

Les autochtones bien sûr. Puis les organisations sociales, des organisations qui ne se situent pas dans un objectif de « pouvoir » c’est-à-dire autonomes par rapport au pouvoir. Beaucoup de syndicalistes, des métallurgistes, des électriciens, des ouvriers de l’industrie pétrolière, des membres de collectifs de travailleurs qui se sont constitués dans des entreprises pour s’intégrer à « l’autre campagne ». C’est important de le souligner parce que jusqu’ici les organisations syndicales n’avaient pratiquement pas participé aux initiatives zapatistes.

Quelles sont les principales positions qui émergent ?

Trois conceptions se sont exprimées. Il y avait ceux qui estimaient que la VIe déclaration de la selva lacandona leur ouvrait un espace politique nouveau et n’y voyaient aucun obstacle à leur propre construction. D’autres ont considéré que « l’autre campagne » était une bonne chose parce qu’elle conduisait à prendre position dans le processus électoral mais pour construire une alternative, pas pour voter en faveur du PRD. Cela renvoie à un grand débat au Mexique. Les sondages créditent Marcos de 18 % à 21 % de préférences électorales. Paradoxalement, c’est utilisé pour dénigrer l’EZLN. Mais par un effet boomerang, beaucoup pensent au contraire qu’un tel résultat avant même le début de la campagne est très important et ils veulent y participer. D’autres enfin considèrent que « l’autre campagne » est une très bonne chose mais que le plus important, c’est la victoire du candidat du PRD López Obrador et qu’il faut organiser une force sociale autonome pour le contraindre à respecter ses engagements en faveur des couches populaires.

Peut-on préciser la position face à López- Obrador ?

Marcos a exposé un refus sans ambiguïté d’apporter un quelconque soutien à la candidature de López Obrador. À la fin, le leadership zapatiste a précisé qu’il ne demandait pas à personne de faire un choix électoral. Des gens qui votent pour López Obrador peuvent participer, mais on leur demande de ne pas en faire état dans le cadre de « l’autre campagne », pour éviter justement à l’EZLN d’avoir à intervenir sur cette question, ce qui nuirait au processus fondamental de travail. Évidemment, ce que les médias ont mis en avant c’est l’affrontement Marcos-López Obrador.

Quels sont les résultats du processus de consultation ?

L’assemblée plénière de septembre a réuni plus de 2000 participants. Les minutes de cette réunion représentent plus de 200 pages et peuvent être consultées sur internet. Rien n’a été soumis au vote. La VIe déclaration de la selva lacandona et toutes les propositions qui ont été faites sont mises en débat avec les collectifs, les organisations, les individus Au terme des débats on prendra acte des points d’accord et des divergences qu’il faudra continuer à discuter. Puis on a déjà décidé que Marcos se rendrait dans tout le pays en parallèle avec la campagne électorale qui doit culminer sur les élections du 26 juin prochain. Marcos va se rendre dans les 31 États du pays et dans la capitale. Ce sera essentiellement des réunions restreintes, des échanges d’expérience. On passera ensuite à la phase d’évaluation. Marcos et l’EZLN ont déclaré d’entrée quelque chose de très important : « Nous n’allons pas nous réunir avec n’importe qui mais avec ceux qui luttent et qui veulent s’organiser. » Marcos n’est pas un dirigeant, mais un outil pour permettre que les gens apportent au processus de coordination leurs idées, leurs expériences ou leurs façons de lutter contre le pouvoir.

Chronologie zapatiste de la dernière période

  • L’EZLN a signé en février 1996 les accords de « San Andrés » avec le gouvernement mexicain qui contient les revendications fondamentales permettant de mettre fin à l’oppression des peuples indigènes. Postérieurement la « commission de concorde et de pacification » du Congrès mexicain a débouché sur la « loi indigène », mais finalement, le congrès mexicain a trahi l’accord.
  • Une « marche indigène » organisée par l’EZLN a parcouru la totalité du Mexique entre janvier et avril 2001.
  • En août 2003, l’EZLN a mis en place les « juntes de bon gouvernement » dans cinq territoires sous son contrôle. Elles sont composées de civils élus par leurs communautés et elles fonctionnent en parallèle avec les municipalités officielles en autonomie complète vis-à-vis du gouvernement du Chiapas.

* Sergio Rodríguez est directeur de Rebeldía, la revue du mouvement zapatiste (www.fzln.org.mx)