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PALESTINE

La communauté internationale fuit ses responsabilités

Entrevue avec Leila Shahid

Samedi 16 juin 2007, par Françoise Germain-Robin

Représentante de la Palestine auprès de l’Union européenne, Leila Shahid souligne l’écrasante responsabilité d’Israël et des États-Unis dans la tragédie palestinienne.

Quelle est la réaction des instances européennes et internationales à la tragédie qui se déroule à Gaza ?

Leïla Shahid. Pour l’instant, aucune. Lorsqu’on présente les événements comme une guerre civile dont les Palestiniens sont les seuls responsables, cela permet à tous les protagonistes, en premier lieu Israël et les États-Unis, mais aussi l’Europe et l’ONU, de se laver les mains en disant : regardez, ils s’entretuent, c’est leur affaire et leur responsabilité. Cela permet d’occulter le contexte. Et cela permet aussi d’évacuer la part de la communauté internationale dans ce qui se passe.

Quelle est-elle ?

Leïla Shahid. La première responsabilité est celle d’Israël : quarante ans d’occupation imposée aux Palestiniens ! Il ne devrait pourtant pas être difficile aux Européens d’en imaginer les conséquences, quand on pense que de la manière dont ils parlent encore, plus de soixante ans après, des cinq années d’occupation qu’ils ont subies comme des années les plus terribles et les plus noires du XXe siècle. En Palestine, pendant ces quarante années terribles, les jeunes Palestiniens ont subi une violence israélienne qu’ils reproduisent entre eux.

La deuxième responsabilité est celle des États-Unis et de l’Europe : ils ont recommandé aux Palestiniens d’organiser des élections, ce qu’ils ont fait à tous les niveaux. Le monde entier les a saluées comme un exemple de transparence et de démocratie. Mais ceux-là même qui les avaient voulues en ont refusé les résultats et rejeté le gouvernement qui en était issu. La troisième responsabilité est celle des Européens et des États arabes qui ont fortement appuyé la formation d’un gouvernement d’union nationale. Mais une fois ce gouvernement formé, en mars, ils ont refusé de le soutenir et de renouer les relations avec lui. Voilà trois raisons qui expliquent pourquoi aujourd’hui le Hamas a décidé de régler le problème par la force.

Peut-on parler de guerre - civile ?

Leïla Shahid. Pas encore, car pour l’instant seuls les combattants du Hamas et du Fatah sont impliqués. Ce n’est pas encore une guerre entre les citoyens, mais cela peut le devenir. Il se passe des choses atroces qui peuvent conduire à des vendettas. Le fait qu’on torture, qu’on tue les familles des responsables... On voit là des formes de violence qu’on n’a jamais connues en quarante ans d’occupation. C’est le résultat d’une violence intériorisée pendant quarante ans et qui explose par manque de perspectives. Une violence qui devient de l’autodestruction. Une violence pathologique qui s’apparente au suicide. C’est le résultat de quarante ans d’humiliation, d’oppression mais aussi d’impunité d’Israël. C’est le résultat du silence et de l’absence de la communauté internationale qui s’est impliquée en Yougoslavie, en Afrique du Sud, en Irlande, mais pas en Palestine.

Est-il encore temps pour l’Union européenne d’agir ?

Leïla Shahid. Il n’est jamais trop tard. Il y a une prise de conscience de la majorité des membres du Parlement européen qui demandent le rétablissement des relations directes avec le gouvernement palestinien. L’UE est la seule partie qui a continué l’aide, mais de façon indirecte, ce qui a contribué à affaiblir l’Autorité palestinienne. Mais l’UE reste assujettie à la position américaine. Les États-Unis et Israël ne sont intéressés que par la politique de force : ils n’ont parlé que d’armer Mahmoud Abbas contre le Hamas, ce qui a eu un effet complètement destructeur.

Que doit faire l’Europe ?

Leïla Shahid. Elle doit prendre ses responsabilités. Elle dispose déjà d’une force le long de la frontière égyptienne. Elle doit maintenant envoyer une force de protection de la population palestinienne. Il y a urgence. Sinon, la guerre civile risque de s’étendre à toute la Cisjordanie, car les familles de ceux qui sont massacrés à Gaza voudront se venger. Et peut-être même à toute la région. Je me demande parfois si ce n’est pas là le choix stratégique des États-Unis, à voir ce qui se passe déjà en Irak et au Liban.

N’y a-t-il pas une forme de contagion de l’exemple irakien ?

Leïla Shahid. Bien sûr. L’influence de l’extérieur est évidente. Celle de la guerre en Irak mais aussi celle des réseaux al Qaeda qui circulent d’un pays à l’autre et que la guerre contre le terrorisme à la manière de Bush a contribué à étendre partout. Il faut y ajouter la guerre souterraine entre puissances qui utilisent la question palestinienne pour s’affronter.

Comment interprétez-vous le fait qu’Israël se rallie soudain à l’idée d’une force internationale à Gaza ?

Leïla Shahid. Parce que les Israéliens commencent à paniquer. Ils jouent les pompiers pyromanes. Ils ont peur d’être gagnés par le feu qu’ils ont eux-mêmes allumé.

Entretien réalisé par Françoise Germain-Robin

publié par l’Humanité


Voir en ligne : http://www.humanite.fr