Washington projette de renforcer les troupes de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) en Afghanistan en envoyant 12 000 à 15 000 hommes supplémentaires pour faire face à l’insurrection menée par les talibans. Aux Etats-Unis et en Europe, plusieurs groupes de réflexion importants, dont le Senlis Council, préconisent également de nouveaux déploiements. Pourtant, la guerre en Afghanistan est en train de changer de nature, et la quantité seule ne fait pas tout. L’OTAN compte sur place quelque 45 000 soldats, dont 15 000 Américains. Par ailleurs, un contingent de 19 000 hommes de l’armée américaine agit de façon autonome. Le Pentagone envisagerait maintenant d’investir 20 milliards de dollars pour doubler les effectifs de l’armée nationale afghane, les portant à 120 000 hommes.
Outre les talibans, des alliances locales conclues entre chefs de guerre et anciens commandants moudjahidin contre l’OTAN ont donné un nouveau souffle au mouvement insurrectionnel, étendant la rébellion à de nombreuses nouvelles régions afghanes. C’est cette expansion du champ de bataille qui préoccupe l’Alliance atlantique, qui se trouve confrontée à un dilemme. Si elle envoie davantage de soldats dans le pays, ils devront être répartis sur un territoire plus vaste et seront donc plus exposés aux attaques. Selon un haut responsable afghan récemment démis de ses fonctions, beaucoup des “nouveaux” insurgés sont en fait d’anciens sympathisants et alliés du Hezb-i-Islami (HI) de Gulbuddin Hekmatyar, ex-leader des moudjahidin et chef de guerre. Ces hommes avaient été incités à passer dans le camp américain par diverses gratifications – emplois, argent ou postes politiques. On jugeait alors préférable de les voir combattre dans un hémicycle que sur le champ de bataille. Mais, depuis que la rébellion talibane s’est fermement implantée dans le sud du pays, l’autorité du gouvernement a fondu comme neige au soleil et les paysans ont été autorisés, et même encouragés, à cultiver le pavot. Dès 2007, l’économie parallèle a prospéré. Attirés par cette manne irrésistible, anciens chefs de guerre, chefs de tribu, religieux et autres se sont ralliés aux talibans. La narcoéconomie mise en place par les extrémistes religieux a tant et si bien renforcé leur influence qu’elle a du même coup sapé tous les efforts américains en vue d’éradiquer le système des seigneurs de la guerre, en particulier à Kaboul et dans ses environs.
Pertes records parmi les soldats de l’Alliance
Aujourd’hui, les chefs de guerre ralliés au HI sont de nouveau en activité, assiégeant pour ainsi dire la capitale, dans la province de Wardak à l’est, celle de Kapissa au nord-est, et celle de Saroubi au sud. L’embuscade qui a causé la mort de dix soldats français près de Saroubi (dont quatre exécutés après leur capture) et fait 21 blessés le 18 août dernier a été menée par des partisans du HI. Si l’on ajoute la mort de trois soldats polonais le 21 août et d’un combattant danois le 25, ce sont 182 soldats étrangers qui ont perdu la vie en Afghanistan cette année, un bilan qui risque fort de dépasser le record, établi en 2007, de 222 décès de militaires étrangers. De plus, cette année, les talibans concentrent leurs efforts pour couper les lignes d’approvisionnement des forces de l’OTAN de l’autre côté de la frontière, dans les Zones tribales du Pakistan [voir CI n° 923, du 10 juillet 2008]. Selon des médias occidentaux, l’Alliance connaîtrait une nette détérioration de son ravitaillement, notamment en carburant, en armes et en pièces détachées.
L’émergence des chefs de guerre, non contente de créer une menace militaire, pose également des problèmes à l’OTAN, qui n’y était pas préparée. Depuis des années, les services de renseignements de l’Alliance atlantique et des Etats-Unis s’attachaient avant tout à couper les ailes aux chefs de file talibans connus et à leurs réseaux ; il leur faut aujourd’hui faire face à d’obscures alliances entre chefs de guerre dans de nouvelles régions afghanes. La tâche est ardue, comme l’a montré l’arrestation récente de Shahabuddin Hekmatyar dans un camp de réfugiés afghans à Peshawar, au Pakistan ; le frère de Gulbuddin Hekmatyar ne fait pas partie du HI et, contrairement à lui, n’a jamais pris part à la résistance à l’invasion soviétique de 1979 à 1989. Sa capture a été manifestement offerte par les Pakistanais, l’OTAN cherchant désespérément à démêler les liens entre la réapparition des chefs de guerre et l’insurrection talibane en Afghanistan. Tout indique que l’Alliance atlantique entend s’attaquer au problème par de nouveaux déploiements militaires. Cela pourra peut-être contribuer à maintenir la sécurité sur les grands axes, mais, comme l’avaient appris les Soviétiques, dont la présence militaire dans les années 1980 était plus de deux fois supérieure à celle de l’OTAN aujourd’hui, la supériorité numérique ne fait pas tout.
Syed Saleem Shahzad
Asia Times Online