Comment expliquer cette victoire ?
On doit d’abord remarquer l’absence sur le terrain d’une grande partie des cadres du Fatah, partis en Egypte, comme Mohammed Dahlan, ou en Cisjordanie. Mais aussi des problèmes de commandement et d’entraînement au sein du Fatah.
Qui a pris l’initiative de l’attaque ?
Le Premier ministre Haniyeh n’a pas pris cette décision. Lui a lutté pour le maintien d’un gouvernement de coalition. Cela lui a été imposé de facto. Ce sont probablement des groupes au sein de la branche armée qui ont précipité cette offensive.
Comment est-on arrivé à cette situation de guerre civile ?
C’est la traduction hypertrophiée de tous les problèmes accumulés depuis des années, qu’Arafat, malgré son affaiblissement, arrivait à maîtriser. Tout ce qui avait permis aux Palestiniens de préserver leur société face à l’occupation israélienne et au raïs de construire son pouvoir s’est retourné après sa mort contre la société. Arafat avait la connaissance des rouages de la société. Il savait en jouer, organisant notamment la concurrence entre chefs, faisant monter l’un au détriment de l’autre, puis l’inverse.
Pourquoi Abbas n’a-t-il pas suivi cette politique ?
Parce qu’il n’a pas cette maîtrise et s’est refusé à entrer dans cette logique, peut-être au nom d’une idée de la démocratie. Dès lors, en l’absence d’Etat, tous les localismes, le repli sur les liens du sang et les solidarités locales ces mécanismes que l’on trouve dans les autres pays arabes, les Palestiniens les ont hypertrophiés. Dès l’été 2004, peu avant la mort d’Arafat, sont survenus les premiers heurts, pas du tout entre le Hamas et le Fatah, mais dans la mouvance du Fatah. C’est là que sont apparus une multitude de groupes et sous-groupes armés qui sont l’expression de ces localismes, avec une extrême personnalisation des leaderships et des dérives mafieuses. Des luttes qui traduisent les appétits de pouvoir d’un petit chef sur une zone géographique très locale, mêlées au combat contre l’occupation israélienne. De cette dérive des groupes (officiels) de sécurité de l’Autorité palestinienne et des groupes (informels) liés au Fatah, on en est ainsi venu à l’expansion de la violence sur le terrain.
L’arrivée au pouvoir du Hamas a tout changé. Tous ces groupes qui obéissaient à des logiques très diversifiées et même contradictoires vont se trouver un ennemi commun : le Hamas. Le nœud du problème, c’est que le Fatah et, au-delà, la présidence d’Abbas ont toujours refusé au Hamas le droit d’exercer le mandat reçu des urnes. Mahmoud Abbas a pourtant nommé Ismaïl Haniyeh Premier ministre. Dans un premier temps, il a respecté le verdict des urnes. Mais après, il a tout fait pour priver le cabinet de toutes les prérogatives constitutionnelles qui sont les siennes. Ainsi, en matière de sécurité, les forces de sécurité qui dépendaient du Premier ministre ont été redonnées à la présidence. On était donc dans le cas d’une désobéissance civile - pour ne pas dire plus - des forces qui se réclament du Fatah et qui refusent l’ordre constitutionnel. Abbas et le Fatah ont pourtant reçu l’appui d’Israël et de la communauté internationale. Appui militaire pour Israël, qui a permis des transferts d’armes à Gaza depuis la Jordanie et l’Egypte et de combattants du Fatah. Pour la communauté internationale, l’étranglement financier du Hamas se poursuit, et les Etats-Unis ont fourni une aide financière à la garde présidentielle, qu’elle entraîne par ailleurs à Jéricho et en Egypte.
Que va-t-il se passer maintenant ?
Une fois de plus, Abbas a pris la décision qu’il ne fallait pas : dissoudre le gouvernement d’union nationale. Il s’est ainsi privé de toute capacité de dialogue avec le Hamas. Même si ce cabinet était une illusion, il constituait une porte de sortie politique. De plus, la loi fondamentale ne lui permet pas de créer un gouvernement d’urgence, qui ne peut être que refusé par le Hamas. Il s’est enferré avec le soutien des pays arabes et de la communauté internationale, qui n’ont jamais accepté la prise de pouvoir des islamistes. Pour le Fatah, on peut prévoir une phase de refondation, d’abord à Gaza, ensuite en Cisjordanie.
Quelle sortie de crise voyez-vous ?
La seule possible, c’est de créer une force internationale, à condition qu’elle ne soit pas le bouclier d’Israël mais le bras actif de la mise en œuvre de la légalité internationale, qui n’a pas été appliquée depuis quarante ans. Mais aucun rafistolage n’est envisageable.
*Recueilli par Jean-Pierre Perrin liberation.fr samedi 16 juin 2007