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Forum social mondial

Espace, mouvement ? Événement, processus ? — Notes pour le débat sur la stratégie

Mardi 4 mars 2008, par EGIREUN Josu

La commission de stratégies du CI a mis en circulation un document pour lancer le débat sur les stratégies auquel sera consacré la prochaine réunion du CI. Dans le texte, la commission propose sept points à la discussion et elle indique que les réponses au questionnaire ne dépassent pas deux pages par point ; quelques questions relatives à l’« état » du monde et quelques autres à celui du mouvement alter-mondialiste pour essayer de situer l’espace Forum dans ce cadre.

Un programme excessivement vaste qui pourrait plutôt servir comme programme pour le prochain FSM et qui laisse pour la fin la définition du FSM lui-même qui, pourtant est ce qui est au centre du débat.

1. Il y a deux ans Emir Sader disait que si le FSM ne débouchait pas sur la lutte pour un « autre monde possible » il n’arriverait pas à être utile, l’année suivante, W Bello considérait que le FSM est à la croisée des chemins et s’interrogeait « doit-il lever le camp et laisser la place pour « de nouveaux modes d’organisation globale de résistance et de transformation » ? Sommes-nous à ce moment ?

Le FSM est apparu comme une nécessité de rencontre entre des mouvements à un moment où redoublaient les critiques et les luttes contre la pensée unique et le néo-libéralisme ; comme une occasion pour le rapprochement de ces mouvements, pour les échanges, idées et expériences et la construction de relations ; et comme un défi : être un instrument utile pour faire face au néo-libéralisme.

Huit années après, le Forum est encore un espace privilégié pour la rencontre des mouvements mais on a peu avancé dans la coordination et la construction de réseaux de mouvements et les doutes sur leur efficacité comme instruments utiles pour faire face au néo-libéralisme existent. Sur le terrain de la mobilisation contre le néo-libéralisme et la guerre après la manifestation mondiale du 15 février 2003 on assiste à un changement de tendance du cycle entamé à Seattle. On n’avance pas dans l’élaboration d’alternatives.

Pendant ce temps le FSM a navigué entre les contradictions propres du mouvement et les tensions au sein du Conseil International. Un FSM dans lequel l’élargissement à des acteurs et des thématiques très diversifiés a dérivé plus dans la dispersion que dans la convergence d’initiatives (sauf quelques réseaux thématiques de profil assez faible). Un FSM dans lequel la volonté de construire un réseau de mouvements sociaux au niveau mondial s’est heurté tant à l’absence d’objectifs et d’engagements concrets pour son développement qu’à l’hétérogénéité de ses composantes et au manque de réflexion concrète sur les défis des mouvements et comment les aborder. Autant de réalités qui l’ont affaibli.

Dans ce trajet, sont aussi apparues d’autres difficultés : l’incorporation de nouveaux secteurs au Forum, l’évolution de la situation politique internationale ou l’évolution de différents pays (le Brésil, l’Italie, le Vénézuéla...) qui amenait a des alignements (et divisions) politiques entre les mouvements ; mais, aussi, l’ouverture d’une certaine brèche entre la dynamique du mouvement et celle du Forum. Ainsi, par exemple cette brèche est apparue, au moment des mobilisations de Cancún et de Hong-Kong contre l’OMC, mais aussi celles d’Evian et Geneagles contre les 8.

Cette brèche est préoccupante : on a effectué plus d’investissement d’efforts, de ressources et de participation pour aller au Forum que pour se mobiliser contre des institutions clef de l’ordre néo-libéral. Pour le dire d’une certaine manière, on avait inversé les rôles : le Forum, qui devait être utile comme incubateur des luttes contre l’ordre néo-libéral avec l’objectif de renforcer la mobilisation, a finalement dévoré les énergies nécessaires pour lutter contre cet ordre (comme Saturne en dévorant ses fils pour garantir son règne ?). Et cela a conduit à une fissure avec les secteurs les plus actifs du mouvement.

Le Forum risque de n’être ni l’espace utile pour avancer vers « un autre monde possible" mais de plus d’user les énergies nécessaires à cette lutte... Et en ce sens, même si le Forum continue de répondre à la nécessité de rencontre des mouvements et une occasion sans comparaison pour le rapprochement de ces derniers, le Forum se poursuit sans répondre au défi fondamental : comment renforcer l’alternative à l’ordre néo-libéral.

De même au niveau européen, l’année dernière , nous avons vécu une difficulté avec les mobilisations contre le G-8 à Rostock : une occasion perdue pour une mobilisation européenne. Il a été (et il est encore) possible de se mettre d’accord pour effectuer le Forum – événement-, mais les difficultés redoublent, on y consacre du temps et des énergies au lieu de promouvoir des mobilisations ensemble. Ces mobilisations sont de plus en plus construites en parallèle. Tout ça n’est bon ni pour les mobilisations ni pour le Forum.

2. Cette brèche ouverte entre le Forum et les mobilisations a conduit à poser le débat sur la périodicité et la structure du Forum et a dérivé dans la fréquence bisannuelle pour le Forum et l’appel à la Journée d’Action Globale pour le 26 janvier le 2008. Toutefois ni la modification de la périodicité du Forum ni la Journée d’Action Globale n’ont résolu le problème. Ou, pour le dire d’une autre manière, ce qui est en débat est comment renforcer la confrontation contre le néo-libéralisme en agissant, en se mobilisant et en élaborant des alternatives, et donc comment définir dans ce cadre le Forum ; c’est à dire : faire du Forum un instrument utile pour aborder ces défis.

Le Forum est une référence pour les mouvements mais son futur est hypothéqué s’il n’arrive pas à être un espace « productif », utile dans ces trois domaines : confrontation avec le néo-libéralisme, coordination et articulation des mouvements et élaboration des alternatives. Huit années après sa création, en proclamant qu’un autre monde est possible et que le Forum allait être le laboratoire des alternatives il est obligé de conclure que si on n’avance pas dans ce processus, le Forum court le risque de se pétrifier. Mais, en plus et pire, c’est que cette pétrification serait un signal que le mouvement lui-même est pétrifié.

3. A ce point il est nécessaire de constater un des plus grands paradoxes du moment : au moment où le débat est de plus en plus actuel sur la nécessité de définir des stratégies de confrontation avec le néo-libéralisme, le développement de ces dernières s’est effectué hors des réseaux des mouvements et même le débat sur les alternatives au capitalisme (le socialisme du siècle XXI) naît d’instances gouvernementales. Ce qui exprime les difficultés dans lesquelles nous nous développons.

Ce qui est intéressant à débattre c’est comment faire du Forum (des forums) un espace utile pour avancer dans la construction d’alternatives (ce côté propositionnel du mouvement) et, sur ce chemin - parce que les alternatives ne peuvent pas être construites en marge des luttes - comment faire du Forum un espace pour avancer dans la construction réseaux et initiatives du mouvement.

Depuis toujours on a évalué le pluralisme et la diversité qui se rencontre dans le Forum comme une valeur en elle-même, mais pour ne pas faire d’une valeur une tautologie, il est nécessaire de souligner que cette diversité et ce pluralisme sont positifs pourvu qu’ils permettent le dialogue entre acteurs différents, engagement sur les objectifs communs de base et pour favoriser l’impulsion pour se confronter au système. Dans le cas contraire il ne serait qu’une réunion entre amis dans un café de grandes dimensions.

4. Par conséquent, au moment de parler stratégies pour le futur du FSM, dans les points de réflexion que pose la Commission de Stratégies, ce qui est fondamental c’est de situer au FSM sur deux piliers :

a. D’abord, comme point de rencontre et dialogue de ceux qui s’opposent au néo-libéralisme même s’ils ne partagent pas les mêmes critères ni les mêmes actions. L’expérience démontre que après les années de naufrage des mouvements sociaux, ces espaces nourrissent l’intérêt pour chercher ces points de rencontre à partir de la conviction commune que personne n’a l’Alternative au système et qu’il est nécessaire de partager des réflexions. Dans une certaine mesure c’est la configuration du Forum comme point de rencontre à partir de la diversité et même à partir de la contradiction d’idées et pratiques ce qui explique l’intérêt qu’il réveille dans des vastes secteurs militants et permet d’y expliquer l’afflux massif.

b. Deuxièmement comme point arrivée et de redémarrage des mouvements sociaux qui échangent des expériences de lutte diverses, qui cherchent la construction d’espaces de travail et le développement d’initiatives communes. C’est-à-dire, comme point de rencontre militante dans le processus de lutte contre le système. Un FSM qui permet de construire ce qui est nécessaire à la confrontation : initiatives, réseaux, stratégies et alternatives.

Un pilier qui jusqu’à présent est trop faible, porté soit par le biais de l’Assemblée mouvements sociaux ou des Assemblées thématiques et aussi par des rencontres informelles qui sont liées au processus du Forum, mais qui constituent un point faible dans la structure du FSM.

Il est nécessaire de construire le FSM comme espace utile pour mettre en commun l’analyse du contexte, la conjoncture et de la définition de politiques de confrontation. Un espace qui permet et encourage le contraste de la pluralité qui s’organise dans les différents axes thématiques ou à l’intérieur des réseaux, pour pouvoir définir les accords et les désaccords et la continuité de ces débats entre les mouvements.

En définitive, le Forum doit s’intégrer dans un processus de construction d’alternatives, de stratégies et d’actions pour le mouvement, conscients que ce dernier acquiert des dimensions locales et globales ; agir comme espace et moment de rencontre et de confrontation mondiale qui permet d’avancer sur ces questions. Quelque chose que la tentative effectuée dans le Forum de Nairobi par le biais des Assemblées thématiques ( 4e jour) n’est pas arrivée à résoudre.

Il est nécessaire de construire le prochain FSM dans ces deux perspectives : la première, répond à son caractère d’évènement : grand meeting de la société civile qui se trouve pour faire face au néo-libéralisme, développer des débats publics, faire connaître des témoignages, initiatives, etc.. Le second, comme un espace de rencontre plus militante, de réseaux et de mouvements qui discutent sur les alternatives et définissent des stratégies, en respectant la diversité et la pluralité en leur sein. C’est-à-dire, créer tout ce qui est nécessaire (initiatives, réseaux, stratégie et alternatives) pour avancer dans la confrontation du néo-libéralisme.

Si le FSM ne pose pas cette question comme une question à résoudre, dans la mesure où c’est une des principaux sujets en suspens pour le devenir des mouvements, chaque fois c’est avec plus de force que l’interrogation posée par W Bello surgira : la fissure entre la dynamique réelle des mouvements et celle du FSM s’élargira.

5. Finalement, il y a un aspect à considérer : au moment de définir le lieu et la date du FSM. Jusqu’à présent la conclusion du Forum a été soumise à l’idée de « faire face » à Davos. Quelque chose qui a perdu de toute évidence et n’agit plus comme il a pu le faire dans les premières éditions.

Durant les dernières années, nous avons vécu cette dichotomie et avons souffert de la perte d’efforts qu’elle produit. Il serait bon de penser comment, de ce point de vue aussi, le Forum constitue ou restitue son rôle de « contre-pouvoir ».

Conclure en disant que nécessairement ces notes n’entrent pas dans d’autres détails sur la forme et la structure du Forum. Il est nécessaire au préalable de dégager le terrain sur ce que nous voulons faire avec le Forum et à partir de là répondre au« comment ».

* Josu Egireun - Esk- Euskal Herria.