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Egypte : les juges dérogent à la règle

Lundi 22 mai 2006, par BADAWI Layla

Depuis plusieurs semaines, l’Égypte connaît une vague d’opposition au pouvoir dictatorial d’Hosni Moubarak. Les juges, dont certains sont réprimés pour avoir dénoncé la fraude électorale, sont l’épicentre du mouvement.

S’exprimant dans la presse, le réalisateur égyptien Youssef Chahine disait « sentir pour la première fois qu’il y avait une réelle possibilité de renverser le pouvoir du président Moubarak, ce qui permettrait enfin de sortir l’Égypte des heures les plus noires de son histoire, qu’elle a vécues ces 25 dernières années ». Il ajoutait : « Le fait que les juges soient dans la rue signifie que le pouvoir a perdu toute crédibilité et que le compte à rebours a, de fait, commencé. Mon rêve est de terminer mon dernier film, pour le présenter après l’avènement d’un nouveau pouvoir. »

Cette déclaration résume bien le sentiment de nombre d’acteurs et d’observateurs de la scène égyptienne, qui décrivent une ambiance de fin de règne. La révolte en bloc des juges contre le pouvoir conforte cette analyse. La fronde des magistrats, loin de faiblir face à la répression sauvage du pouvoir, s’enracine.

Le bras de fer avec le gouvernement de Hosni Moubarak, entamé depuis plus d’un an à la suite de la dénonciation par les juges d’un processus électoral frauduleux et leur revendication de l’indépendance de la justice, s’est durci ces derniers mois, après le passage de deux vice-présidents de la Cour de cassation en commission disciplinaire (lire Rouge n°2157), accusés de porter atteinte à la réputation de leurs collègues en les accusant d’avoir participé à la fraude électorale.

Jeudi 11 mai, date à laquelle les deux juges comparaissaient, le pouvoir a, de nouveau, provoqué une escalade de la violence, en déployant des dizaines de milliers de policiers dans le centre-ville. Près de 273 personnes ont été arrêtées ce jour-là : la plupart étaient des manifestants de divers courants politiques, mais il y avait aussi de simples passants. Les journalistes ont vite compris qu’ils étaient indésirables et une femme journaliste s’est fait agresser, déshabiller et molester.

Cette violence sauvage, orchestrée par le ministère de l’Intérieur et exécutée par des hommes de main, les baltageyyas, et les « équipes karaté » dépendant des corps de CRS, n’a cependant pas empêché plusieurs manifestations de se tenir dans le centre-ville, rassemblant des cortèges de plusieurs villes différentes. Cette répression a même provoqué un mouvement d’indignation dans toute la société - plus un journaliste, plus un intellectuel, plus un artiste ne prend pas position contre « la corruption et la folie du gouvernement égyptien ».

Youssef Chahine, s’adressait ainsi aux parents et familles de détenus, les invitant à ne pas « se soumettre aux menaces de la Sûreté, à résister à la sauvagerie du pouvoir et à continuer à soutenir les juges en descendant dans la rue ». Plus important encore, certains secteurs se sont mis en grève, les premiers étant les avocats du nord du Sinaï. Les juges eux-mêmes menaçaient de lancer une grève générale dans les tribunaux, au cas où, jeudi 18 mai, le pouvoir déploierait à nouveau une armada policière à l’occasion du passage reporté des deux juges en commission disciplinaire.

Le Club des juges maintient également son appel à manifester le 25 mai 2006, date anniversaire du 25 mai 2005, où les manifestations organisées par l’opposition appelant au boycott du référendum avaient été sauvagement attaquées, le gouvernement s’étant attaqué exclusivement aux femmes, manifestantes ou journalistes. À cette occasion, des dizaines de rassemblements de solidarité avec les juges et pour la libération de tous les détenus auront lieu devant les ambassades égyptiennes de par le monde.

* Paru dans "Rouge" n° 2159 du 18 mai 2006.