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ISRAEL - PALESTINE

Diviser pour régner

Mardi 24 février 2009, par Mohannad El-Khairy - Palestine Chronicle

Sommes-nous, en tant qu’Arabes, arrivés au moment où la normalisation inconditionnelle avec l’Etat d’apartheid d’Israël est imminente ? La liquidation totale des droits humains des Palestiniens est-elle par conséquent toute proche ?...

Le 2 février 2009, la ministre des Affaires étrangères israélienne, Tzipi Livni, l’un des architectes du massacre de Gaza en 2008/2009 et qui sera parmi les vainqueurs aux élections israéliennes de février, s’est adressée à de hauts responsables de gouvernements, des mondes économique et universitaire, d’Israël et de différents pays pour débattre des questions stratégiques nationales, régionales et mondiales urgentes touchant à Israël, lors d’une réunion appelée conférence annuelle d’Herzliya.

Le thème de son intervention était axé sur la façon dont évoluent le monde et les menaces autour d’Israël, et comment l’Etat se trouvait par conséquent face à des « opportunités » nouvelles, et elle a déclaré quelque chose qui me tourne dans la tête :

« Nous étions habitués à nous sentir isolés dans le Moyen-Orient avec tout le monde arabe contre nous, nous regardons autour de nous et soudain, nous nous apercevons qu’il y a d’autres pays aux côtés d’Israël - des pays arabes, islamiques qui ne voient plus Israël comme l’ennemi, des pays qui ont compris que l’Iran était leur principal ennemi, qui voient autant que nous une menace dans l’Iran. L’islam radical est une menace et ces nations en comprennent, mieux que d’autres, la signification, car elles sont accoutumées, chez elles, à ces mêmes éléments radicaux. Et ces nations sont du même côté que nous. »

Globalement, le massacre de Gaza a conduit à diviser en deux les gouvernements arabes, sur deux grandes lignes idéologiques : une qui amène des gouvernements capitulards à se plier aux ordres sionistes - ce qu’on appelle les « modérés » dans le langage occidental ; et une autre qui suit une approche plus pragmatique, insistant sur une réaction appropriée et des solutions pratiques à la politique israélienne d’apartheid en Palestine.

Les complices

D’après le Centre palestinien d’information - groupe d’information indépendant qui vise à un rééquilibre des images souvent déformées présentées par les principaux médias sur le conflit du Moyent-Orient -, d’après ce centre, pendant que Livni intervenait à Herzliya, le gouvernement égyptien faisait sauter des tunnels et installait des caméras de surveillance dans le passage frontalier tristement célèbre de Rafah, entre l’Egypte et la bande de Gaza. Alors qu’Israël maintient son blocus depuis vingt mois sur Gaza, le gouvernement égyptien a bloqué les livraisons d’un carburant dont Gaza a désespérément besoin, reprenant les exigences de l’Etat d’apartheid pour sa sécurité. Et Mark Lavie, de l’Associated Press, déclare : « Répondant aux préoccupations israéliennes, des ingénieurs de l’armée US sont arrivés à la frontière Gaza/Egypte dimanche, pour installer un radar Terre-pénétrant (GPR) et pouvoir détecter les tunnels de contrebande. On a vu quatre camions militaires chargés de caisses en bois et de foreuses entrer dans le terminal de Rafah avec quatre ingénieurs de l’armée des Etats-Unis. Les officiels égyptiens qui parlent ainsi le font sous condition d’anonymat vu la sensibilité du sujet. » En fait, le 31 décembre 2008, le quotidien israélien Ha’aretz a même confirmé une déclaration d’Ehud Olmer comme quoi « un certain nombre de dirigeants arabes l’avaient encouragé à maintenir la pression militaire sur le Hamas et à ne pas arrêter l’opération militaire contre Gaza. »

Selon Ali Abunimah - spécialiste du Moyen-Orient et auteur de Un pays : proposition audacieuse pour sortir de l’impasse israélo-palestinienne -, le raisonnement qui sous-tend l’appui de dirigeants arabes aux agressions contre Gaza vise, en partie, à envoyer un message clair à leur propre peuple, à savoir que toute dissidence, sous quelque forme que ce soit, serait impitoyablement écrasée. Il écrit : « Les dictatures "modérées" et les monarchies absolues, soutenues par les USA et menées par l’Egypte et l’Arabie saoudite, ont appuyé le projet israélien dans l’espoir de démontrer à leur propre peuple que toute résistance - contre Israël ou contre leur propre régime décadent - [serait] vaine. »

Il est intéressant de souligner que l’alliance saoudienne/sioniste remonte au début du 20è siècle. Dans son livre Churchill et les Juifs, Michael Joseph Cohen présente le projet Philby de 1939 : un projet conçu par Jack Philby - agent britannique du bureau colonial des renseignements et conseiller d’Ibin Saud (premier monarque du royaume saoudien) - qui sut obtenir des sionistes des fonds d’un montant de 20 millions de livres pour garantir la succession du nouveau roi dans la péninsule arabique, sous la condition que les nations arabes alentours absorbent la création prévisible de réfugiés palestiniens et de leur misère. La rencontre a eu lieu à Londres entre David Ben Gourion et Chaim Weizmann, où Philby leur a offert une immigration importante vers la Palestine s’ils soutenaient le fils d’Ibn Saud et son successeur futur, Faisal. Des mois plus tard, accompagné de Fuad Bey Hamza, fonctionnaire saoudien des Affaires étrangères, Philby proposait à Weizmann de payer à Ibn Saud les 20 millions de livres pour réinstaller les Arabes palestiniens. Selon Philby, la direction sioniste a accepté son projet et Ibn Saud a insisté pour qu’il reste secret de crainte de se voir accusé de trahison de la cause arabe. Les objectifs à court terme de cet accord étaient le contrôle politique et territorial. Cependant, il existait un agenda à plus long terme, dont les origines remontent à bien plus loin encore ; un agenda que Livni a exposé de façon catégorique dans son discours d’Herzliya.

La division chiite/sunnite est entretenue par l’Etat d’Israël pour isoler davantage la place de l’Iran dans la région. Chose intéressante, alors que les dernières élections en Israël montrent un net glissement vers le fascisme, les éléments d’extrême droite ont poussé les leaders sunnites, en Arabie saoudite et en Egypte, à raviver les vieux clivages entre musulmans au détriment des milliers de Palestiniens tués, blessés et déplacés dans la bande de Gaza, leurs propres coreligionnaires, sacrifiés au nom de la peur d’une « influence perse » au Moyen-Orient. Le 17 janvier 2009, Sami Moubayed écrivait un brillant article publié par Asia Times, intitulé Vieilles batailles, nouveaux prétendants dans le Golfe. Il y souligne que « la principale raison de cette animosité est l’Iran. Le président de l’Egypte Hosni Mubarak et le roi Abdullah d’Arabie saoudite font valoir que l’Iran cherche à en imposer dans le monde arabe - via la Syrie -, en Iraq, au Liban et dans les Territoires palestiniens. Ils craignent la puissance iranienne et que son engagement à étendre la Révolution islamique de 1979 ne stimule les chiites saoudiens, mettant alors en évidence la faiblesse de l’islam wahhabite saoudien et peut-être conduisant au renversement de la maison des Saoud. » En fait, quand Israël a attaqué le Liban en 2006, les hauts fonctionnaires saoudiens et égyptiens avaient perçu la guerre comme une chance dans le malheur, espérant que les forces d’occupation israéliennes allaient finir de liquider l’influence chiite dans la politique nationale libanaise. Ce genre de complicité les amène à comploter avec l’Etat d’apartheid pour satisfaire la suprématie américaine sur la région.

Les pragmatiques

La préoccupation croissante face à la division continue entre les Arabes et l’Iran en a motivé d’autres pour aborder la politique israélienne (c’est-à-dire les crimes de guerre) en Palestine dans une démarche plus pragmatique. Le rôle du Qatar, principal médiateur entre rivaux politiques dans la région, est apparu comme une alternative nouvelle particulièrement nécessaire pour les régimes vénaux du Moyen-Orient. Sa popularité s’est accrue de façon spectaculaire après son engagement et l’accord des factions politiques du Liban qui en a suivi. Et quand la guerre contre Gaza a commencé en décembre dernier, le Qatar et la Syrie furent les premiers à exiger un cessez-le-feu alors même que Le Caire et Riyad soutenaient qu’à défaut d’anéantissement du Hamas, l’Iran obtiendrait le total contrôle sur la bande de Gaza. Effectivement, le dirigeant qatarien, Sheikh Hamad Bin Khalifa Al-Thani, écrit Moubayed, « apparai[ssai]t à la télévision nationale [et] appelait les Etats arabes ayant des liens avec Israël (référence claire à l’Egypte) à rompre ces liens, et il insistait pour que tous les Etats arabes participent au sommet de Doha [ce] vendredi (cette fois, le message est pour l’Arabie saoudite) ». S’opposant à ses projets, les Saoudiens ont appelé alors à un sommet islamique à Riyad le jeudi pour court-circuiter l’initiative qatarienne. Contre-attaquant, Hamad a lancé un appel au gel de l’Initiative de paix arabe, appelée autrefois « Projet Abdullah ». Et pour appuyer ses propos, à l’instar du Venezuela et de la Bolivie qui ont expulsé l’ambassadeur israélien de leur capitale, l’Emir du Qatar a rompu les relations commerciales avec l’Etat israélien en fermant ses bureaux commerciaux à Doha.

En dépit des liens militaires, économiques et politiques de la Turquie avec Israël, la tuerie de Gaza a enflammé ses rues avec des manifestations si passionnées et si bruyantes qu’elles ont mis à jour une relation diplomatique difficile avec l’Etat d’apartheid. En tant que médiateur clé dans la région et concentrant leurs efforts sur la valorisation des voies de dialogue avec le Hamas, les autorités turques ont indiqué publiquement qu’elles ne rompraient pas leurs liens avec Israël. A la place, elles ont choisi une voie plus stratégique pour agir sur l’Etat juif par la force diplomatique, tout en dénonçant ses crimes de guerre devant la communauté internationale et en recherchant un arrêt immédiat de la souffrance à Gaza. Pratiquement le monde entier a été témoin de la raclée qu’Erdogan a filé à Israël, via son président Shimon Peres, à Davos. Mais comme la véritable puissance de la Turquie repose sur ses forces militaires et sécuritaires, lesquelles restent étroitement liées à l’alliance USA/sioniste, beaucoup ont affirmé que l’esclandre verbale de la Turquie ne serait qu’un trompe-l’œil qui ne génèrera aucune action forte.

Pourtant, selon Avi Shlaim, professeur à Oxford (un vétéran des forces d’occupation israéliennes), Israël a besoin de la Turquie plus que la Turquie n’a besoin d’Israël. Ce déséquilibre ne fait pas qu’expliquer la stratégie de la Turquie, il met aussi Israël avec ses tendances droitières dans une situation délicate. Dans une interview exclusive au quotidien turc Zaman de ce jour 7 février, Shlaim explique : « La Turquie a commencé à comprendre son rôle de médiateur spécialement dans le contexte des relations israélo-syriennes. Elle est la Turquie, et rien d’autre. Ce ne sont ni les Nations unies, ni les Etats-Unis, ni la Grande-Bretagne, ni le Quartet qui ont parrainé les pourparlers indirects entre la Syrie et Israël. C’est une contribution essentielle [de la Turquie] au processus de paix au Moyen-Orient. La Turquie est un médiateur sincère. La Turquie a d’excellentes relations avec Israël comme avec les Arabes. La Turquie a une alliance stratégique avec Israël. Elle peut être un médiateur sincère - à la différence des Etats-Unis, qui ont été un médiateur malhonnête. » (*) Poussant cette réflexion, la télévision iranienne - le même jour que l’interview de Shlaim - publiait une information sur un procès, fondé sur l’article 13 du code pénal turc, qui permet aux tribunaux du pays de juger les personnes accusées de génocide ou de torture, même si les crimes ont été commis dans un autre pays. Aussi, les procureur de l’Etat turc ont-ils diligenté une enquête sur les allégations de crimes contre l’humanité et de génocide par des Israéliens dans la bande de Gaza.

Relation avec l’Iran

Ce qu’Israël réussit à mettre en place, c’est une restructuration du camp des pragmatiques en cultivant l’idée d’une menace chiite ou perse, sous la forme de l’ « Islam radical », au sein du monde arabe sunnite - alors que, en réalité, c’est l’idéologie expansionniste de l’Etat d’apartheid qui fait peser la plus grande menace sur la sécurité de la région, son indépendance et sa viabilité. Les positions égyptiennes et saoudiennes ne font que reprendre la rhétorique israélienne sur Gaza au lieu de représenter la volonté de leurs peuples, de dénoncer énergiquement les massacres et de rallier la position commune des pragmatiques. Selon elles, l’ennemi c’est l’Iran et son influence supposée sur la région, et elles y vont d’une musique qui enchante les oreilles américaines et sionistes, mais qui ignore complètement les liens religieux, culturels et ethniques avec l’Etat perse.

Car il est notoire que de nombreux khalijis (Arabes du Golfe) parlent le farsi (forme du persan parlé en Iran) ou sont chiites. Des pays arabes comme le Bahreïn, les Emirats arabes unis et le Qatar ont des communautés chiites solides, pacifiques et dynamiques. En réalité, si les sanctions de plus en plus fortes dans les domaines économique et financier ont entraîné une réduction des échanges commerciaux entre l’Iran et l’Europe, le volume de ces échanges entre l’Iran et les pays du GCC (Conseil de coopération des Etats arabes du Golfe) ont régulièrement progressé. Le commerce bilatéral Iran/GCC a été multiplié par cinq, passant de 1,71 milliard de dollars en 2000 à 8,71 milliards en 2007 d’après le Middle East Times. Si la nation iranienne peut calculer sa présence historique dans la région en milliers d’années, le sionisme colonial n’existe officiellement que depuis 61 ans. Pareillement, si les échanges culturels entre Arabes et Perses sont intemporels, l’alliance arabo-sioniste n’est qu’un phénomène contemporain de la nature de laquelle la dépossession et le nettoyage ethnique s’imposent.

Quand j’ai entendu le discours de Livni, je me souviens de m’être demandé : Sommes-nous, en tant qu’Arabes, arrivés au moment où la normalisation inconditionnelle avec l’Etat d’apartheid d’Israël est imminente ? La liquidation totale des droits humains des Palestiniens est-elle par conséquent toute proche ? Et si les Palestiniens capitulards sont ce que les USA et l’Europe appellent un « véritable partenaire pour la paix », le monde arabe admet-il au bout sa défaite, permettant au mouvement sioniste d’atteindre ses objectifs impérialistes dans la région ? Le Eretz Israel - un Israël du Nil jusqu’à l’Euphrate - est-il à notre porte ? Est-ce cela la situation durable à laquelle se réfèrent les dirigeants du monde et la communauté internationale quand ils parlent de « paix au Moyen-Orient ? ».

Et puis, il m’est venu un petit sourire en coin - plutôt nerveux - et j’ai pensé : Eh bien, si quelqu’un peut mettre à plat la vérité, c’est peut-être bien Livni. Ce qu’elle a dit pourrait bien ne pas être très loin de la vérité. Et en s’adressant à ses propres sympathisants avec de telles déclarations sincères, révélatrices et criantes, non seulement elle a mis dans l’embarras certains dirigeants arabes, mais elle a révélé tout simplement leur véritable nature d’élément intégré au même establishment politique et au même ordre mondial que le système d’apartheid d’Israël est venu représenter.

Mohannad El-Khairy est Palestinien, il s’est installé à Dubaï après avoir vécu au Canada pendant 18 ans. Il a écrit cet article pour PalestineChronicle.com

(*) - Voir aussi Turquie/Israël : les positions de Galal Nassar (Weekly Ahram)

21 février 2009 - PalestineChronicle - Traduction : JPP


Voir en ligne : www.info-palestine.net