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PALESTINE - ISRAEL

Dialogue pour la paix

Des interventions de Mustapha Barghouti et de Zeev Sternhell

Mercredi 4 juillet 2007

L’Humanité assistait au débat, tenu dans les locaux de Sciences-Po à Paris, entre Mustapha Barghouti, ex-ministre de l’Information du gouvernement palestinien, et Zeev Sternhell, dirigeant israélien de La paix maintenant. Réunis à Sciences-Po jeudi 28 juin devant un public fourni, attentif et passionné, Mustapha Barghouti et Zeev Sternhell ont dialogué en présence d’Hervé de Charette, ex-ministre français des Affaires étrangères, député, vice-président de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, et de Stéphane Hessel, ambassadeur de France et ancien résistant. Les deux protagonistes ont pris séparément la parole, exposant à tour de rôle leur vision du conflit israélo-palestinien. Morceaux choisis sur différents thèmes.

Histoire et état des lieux

Mustapha Barghouti. Il ne faut pas que l’arbre cache la forêt, mais voir l’ensemble du tableau. Il ne faut pas se fier uniquement aux récents événements. Le problème, c’est que la Palestine est sous occupation depuis quarante ans, soit la plus longue de l’histoire contemporaine, et que l’année prochaine, cela fera soixante ans que la déportation du peuple palestinien a commencé. À cela s’ajoute un apartheid très net des populations palestiniennes.

Notre économie est sclérosée par les 570 check-points permanents qui rendent impossibles les échanges commerciaux. Les taxes locales, qui représentent 75 % des revenus de la Palestine, sont gelées par Israël. Le mur de séparation s’éloigne parfois de 25 kilomètres de la frontière tracée en 1967. Ce mur, officiellement construit pour stopper les kamikazes, ne sépare pas les Israéliens des Palestiniens mais sépare les Palestiniens entre eux. Des villes, des quartiers, des rues sont coupées en deux. En comptant les 67 colonies en Cisjordanie et le mur oriental prévu, il restera moins de 11 % du territoire initial aux Palestiniens, alors qu’en 1947 l’ONU avait décidé la création de deux États.

Il était prévu que la Palestine obtienne 45 % des terres, ce qui a été refusé par les pays arabes. Finalement, Israël a été créé sur 77 % du territoire. Plus tard, les accords de paix d’Oslo sur lesquels ont été fondés beaucoup d’espoirs pendant une décennie furent aussi prétexte à l’introduction même de l’apartheid, avec un plan prévu depuis toujours par l’armée israélienne. Ce processus calculé, délibéré et parfaitement intégré, permet à Israël de créer des enclaves pour récupérer des colonies. Israël est corrompu par cette occupation, cet apartheid, et ne peut pas continuer de prétendre qu’il en est la victime.

Zeev Sternhell. La conquête de la terre était une nécessité existentielle pour Israël, un combat juste et légitime, jusqu’à la ligne verte du 4 juin 1967, et tout ce qui a été fait jusqu’à cette date ne peut-être défait.

Zeev Sternhell. Revenir en arrière signifierait la fin d’Israël. Mais nous n’avons aucun besoin d’aller au-delà de cette ligne verte. Tout ce qui a été fait ensuite n’était ni juste ni légitime, car non nécessaire. L’objectif du sionisme n’était pas le désastre moral, mais une conquête existentielle qui, je le repète, s’est achevée ce 4 juin 1967.

Nous n’avons pas besoin d’aller au-delà de cette ligne verte. Il faut par conséquent rendre les territoires occupés en Cisjordanie. Mais, pour être honnête, je pense que le démantèlement de ces colonies cisjordaniennes constituerait pour nous une guerre civile. Nous pouvons libérer 95 % des territoires palestiniens occupés, au-delà de la ligne verte, mais les 5 % restants devront être échangés contre d’autres parcelles de terre.

Hamas et démocratie palestinienne

Mustapha Barghouti. Nous avons fait une grosse erreur : nous luttons les uns contre les autres et certains ont violé des droits humains, ce qui affaiblit notre autorité alors que nous cherchons précisément à affirmer une autorité forte, sérieuse et libre de toute occupation militaire. La situation aurait pourtant pu être résolue avant l’apparition du Hamas, il y a vingt ans. Mais par la suite la communauté internationale a marginalisé Arafat.

Notre gouvernement d’union nationale était légitime, puisqu’élu démocratiquement dans le respect des attentes internationales. Encore une fois, la communauté internationale ne nous a pas reconnus, à cause du Hamas, alors qu’il y avait une véritable possibilité d’accord qui aurait été respecté par le peuple palestinien. En plus de cela, la démocratie palestinienne est constamment attaquée. 45 membres du gouvernement sont emprisonnés par Israël. Ehoud Olmert a proposé de libérer 250 Palestiniens, mais 11 000 sont emprisonnés et 200 sont arrêtés tous les mois. Israël n’essaie pas du tout d’aider Mahmoud Abbas mais exploite les divisions pour renforcer l’apartheid. Olmert a d’abord refusé de négocier avec Abbas parce qu’il a accepté la formation d’un gouvernement d’union nationale, et maintenant parce qu’il ne le contrôle plus...

Zeev Sternhell. L’arrivée du Hamas au pouvoir était démocratique, nous devons donc négocier avec lui puisqu’il représente le peuple palestinien. Mais le Hamas ne peut pas refuser la reconnaissance de l’État d’Israël. C’est une illusion totale de sa part de croire à la défaite tactique et de miser sur une victoire dans l’avenir. Je reconnais notre part de responsabilité dans la crise actuelle. Mais comment convaincre l’opinion publique israélienne, l’Israélien de base, qu’il faut négocier avec le Hamas alors que celui-ci refuse de reconnaître Israël ? C’est un véritable problème. Mais il ne faut pas non plus se cacher derrière pour empêcher les négociations.

Quelles solutions d’avenir ?

Zeev Sternhell. La conquête était existentielle, ce qui n’est plus le cas depuis la ligne verte du 4 juin 1967. Il faut donc considérer que l’établissement de cette frontière est la fin d’un processus et non une étape. Il faut en même temps reconnaître que les Palestiniens sont un peuple voisin. Nous n’avons qu’eux et ils n’ont que nous. Il faut s’accepter et se reconnaître mutuellement. Si nous ne nous écoutons pas, nous ne nous en sortirons pas, sur place et à l’étranger où il est très facile de s’affronter par propagande interposée. Je pense néanmoins que la reconnaissance de l’État d’Israël par l’ensemble des Palestiniens n’est que le préalable au processus de paix. Il doit partir de là, et avancer point par point. Cela doit représenter l’ouverture des négociations. Je ne crois pas à l’établissement d’un statut final.

Mustapha Barghouti. La communauté internationale doit prendre ses responsabilités. Israël n’aurait pas pu développer une des meilleures armées du monde sans le soutien logistique et financier des États-Unis. L’ONU a été capable de faire respecter ses résolutions. La communauté internationale refuse de dialoguer avec nous, que le Hamas soit membre du gouvernement ou non. L’Union européenne doit se montrer plus utile, affirmer ses positions et favoriser la paix.

Pour que la Palestine et Israël trouvent un terrain d’entente, il faut planifier un statut final. Nous devons éviter de prendre les questions les unes après les autres, cela ne marche pas. Israël a-t-il l’intention d’accepter les frontières de 1967 ? A-t-il l’intention de reconnaître Jérusalem Est comme capitale de la Palestine ? Il faut d’abord négocier l’ensemble du processus de paix. Les grandes lignes doivent être tracées, les détails annexes viendront ensuite. Les bases techniques existent déjà, depuis des années de négociations inabouties. Mais trouver cet accord sur une vision à long terme est très difficile. Le problème, c’est que personne ne veut discuter ni de l’occupation ni de ce statut final. La majorité des populations israélienne et palestinienne sont prêtes pour une vraie solution entre les deux États. Nous devons nous accepter mutuellement comme des êtres humains égaux en droit et en responsabilités.

Propos recueillis par Dorothée Fouchaux et Aurélien Soucheyre

Mustapha Barghouti et Zeev Sternhell - L’Humanité, le 3 juillet 2007