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Dangereuse évolution de la politique américaine

Lundi 10 janvier 2005, par Pierre BEAUDET

Depuis quelques jours, l’histoire s’accélère en Irak. Après un d’occupation, les États-Unis ont réussi à coaliser une grande partie de l’opposition irakienne, tant dans les régions sunnites que dans les régions shi’ites. Lors de l’occupation britannique dans les années 30, il avait fallu près de dix ans pour réaliser cet « exploit ». Comment expliquer cette évolution spectaculaire ?

Un an plus tard

En dépit de tous les avertissements, y compris ceux venant de l’intérieur des États-Unis, l’administration américaine n’a jamais vraiment eu de programme réaliste pour « reconstruire » l’Irak après le renversement de Saddam Hussein. Les efforts bric-à-brac pour mettre en place une administration intérimaire sont aussi peu convaincants que consistants. Plusieurs des responsables irakiens qui avaient été embarqués dans cette aventure sont maintenant « démissionnés » ou ont décidé eux-mêmes de partir. Pour plusieurs, l’incapacité des autorités d’occupation de sécuriser le territoire et de rétablir les conditions essentielles à la vie quotidienne (eau potable, électricité, services publics) démontre un incroyable mélange d’incompétence et de machiavélisme. On se demande en attendant où vont les ressources énormes venant des exportations de pétrole irakien, dont on dit qu’elles seraient proches d’atteindre les niveaux d’avant-guerre. Sans doute que le coût de l’occupation ($123 milliards de dollars américains à date) explique que ces ressources sont détournées vers l’armée américaine, ce qui est quand même une violation grave des protocoles de l’ONU concernant des situations de conflits.

Sur le terrain, il faut voir les jeunes soldats américains patrouiller les rues de Bagdad ou des autres villes irakiennes pour le croire : ignorants, terrifiés, l’arme au poing et le doigt sur la détente, ils sont visiblement en territoire hostile et ils le disent ouvertement à qui veut les entendre, « on veut partir ! ». Plus pathétiques encore sont les supplétifs des États-Unis qui proviennent d’une ribambelle de pays, et qui sont retranchés dans leurs baraquements comme des rats. Les soldats bulgares, ukrainiens, salvadoriens, non seulement n’ont pas les moyens de combattre, mais ils sont également démotivés. Et bien sûr, la défaite de la droite en Espagne et l’annonce par le nouveau gouvernement socialiste du retrait imminent des soldats espagnols a sonné le glas de cette « coalition » qui n’en a jamais été une. Seul le contingent britannique (qui compte plus de 8000 soldats) se tient encore debout dans la région de Basrah au sud du pays.

Punir le peuple irakien

Les affrontements de la dernière semaine auront fait explosé toutes les illusions. Des soldats irakiens que les Américains avaient réussi à recruter de peine et de misère ont refusé de combattre à Fallujah. Dans cette ville rebelle, l’armée d’occupation emploie les tactiques israéliennes : encerclement pour mener la ville à l’étouffement, bombardements massifs contre les civils pris en otage, tir-à-vue sur tout ce qui bouge, etc.. Les routes qui permettent de sortir de l’Irak vers la Jordanie et la Syrie sont bloquées et détruites. Les quartiers populaires de Bagdad sont attaqués par des hélicoptères de combat Apaches. Des milliers de personnes sont emprisonnées. Et tout cela, sans que les responsables militaires et politiques de la résistance ne soient réellement embêtés. D’ailleurs, le simple fait que les soldats américains n’aient pas pu défoncer les lignes irakiennes à Fallujah après plusieurs jours de violents combats indique une situation militaire est très fragile.

La seule interprétation « logique » de cette dérive est celle avancée par Noami Klein dans le Guardian (quotidien de Londres), à savoir que le but de cette opération est de faire sombrer le pays dans l’anarchie, ce qui justifierait (mais aux yeux de qui ?) le maintien de l’occupation américaine, et aboutirait de facto à segmenter l’Irak en autant de « territoires » militarisés et en guerre permanente. On ne peut s’empêcher, devant ce scénario, de penser à la Palestine, transformée par l’occupation israélienne en zones déconnectées et encerclées.

Mais pour arriver à cela, il faudra plus qu’un bain de sang comme celui qui est survenu cette semaine. La résistance semble se renforcer, puiser dans un réservoir encore immense de volontaires, se coordonner davantage et s’appuyer sur un vieux fonds nationaliste irakien très fort. À Bagdad quelques jours avant le début des combats, un grand nombre de partis politiques (nationalistes, religieux, de droite et de gauche) étaient réunis pour demander encore une fois la fin de l’occupation. Ces gens, qui ont l’air énormément modérés à côté des groupes armés dont celui du jeune leader shi’ite Moqtada al-Sadr, expriment tout haut ce que tout le monde dit, tout haut encore, l’occupation doit cesser. Un processus de transition, sous la supervision de l’ONU (pas des États-Unis) doit être mis en place rapidement, basé sur une vaste coalition irakienne représentative.

L’« israélisation » de Washington

On dirait que la comparaison est exagérée, mais à constater la proximité entre le Président Bush et le Premier Ministre Sharon, on peut réellement se demander ce qui se passe. D’ici quelques jours en effet, Sharon sera à Washington pour faire endosser son nouveau plan de colonisation, qui consiste à « évacuer » Gaza (qui de toutes façons est ingérable pour les occupants) et à « consolider » la mainmise sur la Cisjordanie, où habitent près de deux millions de Palestiniens. En Cisjordanie, la construction du Mur et d’autres mesures entreprises par Sharon aboutissent dans les faits à cantonniser les villes et villages palestiniens en territoires invivables. L’idée même lointaine d’un État palestinien viable est ainsi enterrée et l’on précipite les Palestiniens dans une impasse qui risque d’être encore plus sanglante, tant pour eux-mêmes que pour la population civile israélienne. Les leaders des pays arabes mêmes les plus proches des États-Unis, le Président égyptien Hosni Moubarak par exemple, sont horrifiés.

L’administration actuelle aux États-Unis s’est coincée dans sa propre dynamique et il est difficile d’imaginer un virage. Car tout se « tient », tant le mensonge sur les raisons qui ont motivé l’invasion de l’Irak que les promesses de « démocratiser » ce pays (et l’ensemble du Proche-Orient) et l’alliance indéfectible avec le camp des ultra en Israel. Le retrait des 110 000 militaires américains ne semble pas pour demain (l’armée a annoncé avoir remis à plus tard la rentrée de 25 000 GIs prévu pour la fin du mois).