En partant de cette hypothèse, M. Abdoul Karim a articulé son intervention autour du bilan du processus de paix au Niger depuis la signature des accords de paix entre le gouvernement et les ex fronts de la rébellion armée en 1995. Le Conférencier indique que trois accords de paix ont été signés, à savoir l’accord de paix du 24 avril 1995, le protocole additionnel d’Alger du 28 novembre 1997 et l’accord de paix de N’djamena du 21 avril 1998.
Selon le conférencier, les accords sont structurés autour de quatre (4) principaux piliers : la décentralisation, la gestion de la sécurité dans les zones touchées par les conflits, le développement des régions affectées et l’intégration et la réinsertion socioéconomique des ex-combattants. Les engagements pris à l’article 12 de l’accord du 24 avril 1995 tournaient autour de l’élaboration de la loi sur la décentralisation, l’adoption du statut des Unités Sahariennes à caractère militaire et leur mise sur pied, l’exécution du programme économique d’urgence pour les régions touchées par le conflit et le démarrage des intégrations dans les différents corps de l’Etat.
Après analyse du bilan de la mise en œuvre des différents accords de paix, le conférencier estime que l’ensemble du dispositif relatif à la décentralisation est actuellement mis sur pied et des élections locales ont eu lieu en 2004 ; mais, il souligne que les accords de paix prévoyaient une décentralisation jusqu’au niveau régional, alors que le schéma en vigueur actuellement consiste en une communalisation intégrale. Le conférencier note également que les quatre (4) compagnies sahariennes de sécurité créées pour l’Aïr, l’Azawak, le Kawar et le Manga sont toutes opérationnelles.
Sur les aspects de développement, il mentionne que la table ronde des bailleurs de fonds prévue par les accords a eu lieu du 30 au 31 octobre 1995, et que des engagements ont été pris par des partenaires au développement. Certains programmes élaborés ont été pris en compte dans la stratégie de réduction de la pauvreté et le Programme spécial du Président de la République. Concernant le chapitre de l’intégration et de la réinsertion socio-économique, le conférencier rapporte que 3014 ex-combattants ont été intégrés dans les différents corps de l’Etat, instituts et Ecoles ; tandis que 4050 ont été concernés par la réinsertion socio-économique pour les quatre (4) régions (Aïr, Azawak, Kawar et Manga).
Après analyse de l’état de mise en œuvre des accords, il ressort que des efforts importants ont été consentis par l’Etat, mais des défaillances importantes, constituant une source de frustrations, ont été constatées. Il cite entre autres :
• le retard dans la mise en œuvre du processus de réinsertion socioéconomique qui n’a démarré que 10 ans après la signature des accords ;
• le manque de transparence qui a entouré le processus de recrutement et de réintégration des ex-combattants dans les différents corps, sociétés et institutions de l’Etat ;
• le non recrutement de plusieurs cadres des ex-fronts armés, notamment au niveau des sociétés minières qui leur ont proposé des indemnités de 1,2 à 1,5 millions de francs CFA pour renoncer à des postes, alors que certains chefs de front sont nommés dans différentes structures ou institutions de l’Etat ;
• la mauvaise gestion des carrières des ex-combattants réintégrés et la méfiance vis-à-vis des éléments intégrés dans les forces de défense et de sécurité, dont beaucoup ont déserté depuis juin 2006 au niveau du corps des FNIS et d’autres révoqués souvent pour des fautes mineures ;
• les inégalités créées par les accords qui se sont traduites par l’émergence des nouveaux riches parmi les chefs rebelles ou autres personnes ayant joué un rôle important au cours de la rébellion.
En conclusion, le communicateur estime que la résurgence du conflit armé dans le Nord de notre pays est en partie l’expression de l’échec de la gestion post conflit dans ses aspects militaires, économiques, sociaux et politiques. Par ailleurs, il note aussi que le Haut Commissariat à la Restauration de la Paix (HCRP) n’a pas joui de toute l’attention et de tout le soutien possible pour mener à bien sa mission. Il a été observé, entre autres, une baisse graduelle des fonds qui lui sont alloués et aussi une limitation de sa mission à la seule gestion des accords de paix.
Avant de terminer, le conférencier a évoqué l’hypothèse d’une implication de la Libye et de la France à travers AREVA qui, selon lui, ont des intérêts à défendre dans cette partie du pays. Il a ajouté aussi que la bonne gouvernance et la vision post-conflit devraient être des leitmotivs pour les responsables politiques. Enfin, le conférencier a interpellé la classe politique, les intellectuels, la société civile pour que des solutions durables soient apportées à la situation dans le Nord.
À l’issue des débats qui ont sanctionné la communication de Monsieur Abdoul Karim Saidou, les idées forces suivantes ont été dégagées :
• Si nombre des participants à la journée de réflexion sont d’avis qu’il ne faut point exclure l’hypothèse d’une ingérence extérieure dans le conflit armé au Nord, il importe de souligner que personne n’a prétendu en détenir la preuve intangible. Ce qui laisse croire que cette hypothèse s’appuie surtout sur la présomption de bonne foi des autorités nigériennes, notamment du Président de la République, et sur les antécédents historiques de certains des protagonistes désignés de cette crise, notamment la France, via la compagnie AREVA, et la Jamahiriya Libyenne. Certains participants ont estimé que les éléments d’accusation, s’ils existent vraiment, méritent d’être portés à la connaissance du public.
• Au sujet des ingérences extérieures, il a été rapporté que, dans une lettre adressée au Ministre des affaires étrangères du Niger, la Libye réclame 30.000Km2 au Niger dans sa partie Nord. Le Président de la République a confirmé cette information, tout en indiquant que le différend sera porté au niveau de la Cour Internationale de La Haye. Si cette option est considérée comme juste, il reste que les autorités doivent accorder une grande importance à la question de délimitation des frontières nationales. Les moyens adéquats doivent être déployés pour que les services compétents puissent produire des études et des données intangibles lors des discussions avec les pays voisins. Sur ce point, plusieurs témoignages ont fait cas des lacunes constatées dans la gestion des problèmes frontaliers, en particulier le peu d’empressement des autorités à mettre assez de ressources à la disposition de la commission nationale de délimitation des frontières.
• Qu’elle soit fondée ou non, l’hypothèse d’une ingérence extérieure ne doit pas conduire à éluder le fait que l’éclatement du conflit armé dans le Nord est lié avant tout à l’affaiblissement de l’Etat et surtout aux carences d’un vrai cadre démocratique. Cette situation résulte également des politiques néolibérales appliquées par les régimes successifs, et qui se sont traduites par une déliquescence totale des services sociaux (santé, éducation, eau potable, etc.) et le chômage massif des jeunes, tant diplômés que non diplômés. Les frustrations sont grandes dans toutes les régions de notre pays, à cause aussi de l’ampleur que prend la corruption, qui gangrène aujourd’hui toutes les sphères de l’Etat. Les ressources publiques sont mal gérées ou simplement détournés par une poignée d’individus, alors que les services sociaux de base se meurent faute d’allocations conséquentes. L’exemple le plus patent est l’affaire dite du MEBA, qui est aujourd’hui purement et simplement classée.
• Au regard de la dégradation continue des conditions de vie des populations, des nombreux participants estiment que la rébellion armée aurait pu éclater dans n’importe quelle région de notre pays ; car, s’il est vrai que des progrès importants ont été réalisés dans la mise en place des institutions démocratiques, il n’en demeure pas moins que les conditions sociales ne se sont guère améliorées pour la majorité des citoyens. A titre illustratif, outre le problème crucial du chômage des jeunes, la déliquescence sans précédent du système éducatif et l’insécurité alimentaire chronique ont été évoquées par plusieurs intervenants, qui estiment qu’il ne saurait y avoir de paix durable dans notre pays tant que ces problèmes sociaux n’auront pas trouvé de solutions appropriées.
• Après plus de 16 ans de démocratisation, la culture de l’État de droit ne s’est pas encore solidement enracinée dans notre pays. La parfaite illustration de cette situation nous est donnée par les dysfonctionnements et insuffisances du système judiciaire, qui devrait constituer un des piliers de l’Etat de droit et un recours contre les injustices. La justice nigérienne est aujourd’hui moins crédible qu’elle ne l’était sous le régime d’exception. L’égalité des citoyens devant la loi et la présomption d’innocence, qui sont des principes élémentaires dans un Etat de droit, ne sont pas souvent respectés par les juges. Cette situation explique la désaffection des citoyens vis-à-vis d’un appareil judiciaire jugé corrompu et inique. Si rien n’est fait dans l’immédiat pour restaurer la crédibilité de la justice, les conséquences sur la préservation du cadre démocratique seront immenses : « Un peuple peut prospérer dans la mécréance, mais pas dans l’injustice », dit un Hadith du Prophète Mohamed, PSL.
• S’il est indéniable pour certains que le conflit armé dans le Nord du pays est lié principalement aux carences du cadre démocratique et à la mal-gouvernance, d’autres soutiennent que ces deux facteurs ne peuvent pas à eux seuls expliquer cette situation. Ils rappellent que des grandes démocraties telles que la France et l’Espagne connaissent aussi des situations similaires. Ces deux pays sont en proie, depuis des dizaines d’années, à des irrédentismes identitaires (Corses et basques notamment). Le Niger pourrait s’inspirer des expériences de ces pays démocratiques, qui sont confrontés à des revendications séparatistes ; mais, sans pour autant ignorer sa propre expérience sous les régimes antérieurs, notamment durant la 1ère République, basée sur le « patronage » et le « clientélisme ». Les autorités peuvent s’inspirer également des mécanismes traditionnels plus anciens, tels que l’assemblée des tribus de l’Air au cours de laquelle sont discutés et résolus tous les problèmes de sécurité.
• La résurgence du conflit armé dans le Nord de notre pays n’est certainement pas liée aux lacunes constatées dans la mise en œuvre des accords paix signés avec les ex-fronts de la rébellion armée qui, pour l’essentiel, ont été appliqués. En outre, s’il est vrai que quelques combattants intégrés dans les Unités Sahariennes de Sécurité (USS) ont rejoint le MNJ, il convient de noter que des éléments intégrés dans les forces régulières et ceux réinsérés dans le cadre des micro-projets initiés en leur faveur demeurent sur place. Sur un autre plan, il y a lieu de relever que les actions de développement préconisées dans le cadre de ces accords n’ont pas tenu compte du processus de désarticulation de l’économie des zones affectées par ces rébellions. La vocation pastorale de ces zones n’a pas été suffisamment prise en compte ; et tout indique que les problèmes auxquels sont confrontés les populations de ces zones ont été mis au second plan. Ce qui amène à déplorer un manque de suivi des accords de paix et de leur évaluation par l’Etat, les partis politiques, les organisations de la société civile et par des intellectuels.
• Le Haut Commissariat à la Restauration de la Paix a été cantonné dans un simple rôle de suivi des accords de paix, et cela sans grands moyens. Par ailleurs, il a d’autres missions qui consistent à créer les conditions d’une paix durable entre tous les Nigériens. Il ne peut remplir cette mission que lorsqu’il sera doté des organes de réflexion et d’analyse socioéconomique, culturel et politique. Il y a lieu alors d’envisager une restructuration de cette Institution en intégrant des cadres de réflexion sur la gestion politique, gestion militaire et sociale.
L’auteur est chercheur avec le Commissariat à la Restauration de la Paix (HCRP)