|  

Facebook
Twitter
Syndiquer tout le site

Accueil > français > Archives du site > L’arc des crises > Aux lendemains de la condamnation de Saddam

IRAK

Aux lendemains de la condamnation de Saddam

Mercredi 8 novembre 2006, par Maha Al-Cherbini

A l’annonce du verdict contre Saddam Hussein, condamné à mort par pendaison, de grandes manifestations pour et contre le dictateur déchu ont éclaté dans différentes localités d’Iraq, mettant en exergue un fossé croissant dans la population, plus de trois ans après la chute du dictateur. « En effet, cette sentence va envenimer de plus en plus les relations entre les chiites et les sunnites, car ces derniers restent toujours sceptiques quant à la validité du déroulement du procès. Ils pensent que le tribunal qui a jugé Saddam n’est pas iraqien mais plutôt américain », explique le Dr Mohamad Al-Sayed Saïd, expert politique.

Majoritaires dans leur pays mais opprimés par le régime de l’ancien dictateur, les chiites iraqiens ont manifesté, dimanche et lundi, leur joie sans bornes à Bagdad. Des milliers d’habitants du quartier populaire chiite Sadr City (nord-est de Bagdad) sont descendus dans les rues pour demander au tribunal de livrer Saddam au peuple pour qu’il l’exécute lui-même. « Ce verdict marque la fin d’une période noire de l’histoire de ce pays et en ouvre une autre, celle d’un Iraq démocratique et libre », s’est réjoui, de sa part, le premier ministre iraqien, Nouri Al-Maliki.

En revanche, pour de nombreux sunnites, communauté dont est issu Saddam et qu’il a largement favorisée sous son règne, l’heure était à la colère. « Ce verdict va alimenter la violence confessionnelle. Il y aura plus de sang, plus de divisions et plus de fossés. Le premier ministre et le gouvernement en seront responsables », a déclaré un porte-parole du juriste sunnite, Saleh Mutlak. Certains experts estiment que la mort de Saddam pourrait même renforcer son pouvoir symbolique.

Pour ne pas sombrer dans le pessimisme, certains leaders iraqiens ont estimé, lundi, que la condamnation à mort de Saddam pourrait, en revanche, contribuer à réduire les actes de violences en Iraq et dissuader ses partisans. « Avec le verdict, les partisans du président déchu perdent tout espoir de son retour au pouvoir, ils n’auront donc aucune raison pour poursuivre leur lutte », a affirmé Kamal Karkouki, vice-président du parlement de la région autonome du Kurdistan iraqien. Une hypothèse largement partagée par le Dr Hicham Ahmad, professeur à la faculté des sciences politiques et économiques, à l’Université du Caire, selon qui, la disparition de Saddam va obliger les sunnites, dispersés et marginalisés en Iraq après la chute de Saddam, à prendre leur souffle et à penser à se choisir un nouveau leader puissant apte à unifier leurs rangs : « Cette unification va leur donner une certaine force pour s’engager dans un dialogue constructif avec les chiites et les Kurdes dans l’espoir de reprendre une partie du pouvoir et des richesses du pays. Ainsi, ils n’auront plus aucun prétexte pour poursuivre la violence », analyse le Dr Hicham.

Tyran sans merci tout au long des 25 ans de son pouvoir, Saddam Hussein a refusé de ployer, même en entendant le verdict de sa mort. Visiblement ému par la sentence mais toujours prêt à braver la Cour, le tyran iraqien s’est écrié en toute force : « Longue vie à l’Iraq », « Dieu est plus grand que l’occupant », alors qu’on l’emmenait hors de la salle d’audience, les mains liées au dos. Selon son avocat tunisien, Ahmad Seddiq, qui l’a rencontré à la veille du verdict, le président déchu s’attendait bien à être condamné à mort, mais il avait un « moral de fer ».

Quant aux autres faucons de l’ancien régime, leur sort était également décidé dimanche : l’ancien vice-président iraqien, Taha Yassine Ramadan, a été condamné à la prison à vie, alors que la peine de mort avait été requise contre lui. Trois anciens dirigeants locaux du Baas, Abdallah Kadhem Roueid, son fils Mezhar Abdallah Roueid, et Ali Daeh Ali, ont été condamnés à 15 ans de prison. Un quatrième, Mohamad Azzam Al-Ali, a été acquitté.

Pourtant, ces sentences ne seront pas immédiatement exécutées en raison d’une procédure d’appel automatique qui a démarré lundi dernier. Selon les juristes, Saddam pourrait ne pas être exécuté avant 2007, la procédure d’appel de la condamnation à mort prononcée dimanche contre lui n’étant pas limitée dans le temps.

L’ex-homme fort de l’Iraq sera à nouveau mis dans le box des accusés du tribunal pénal pour répondre avec six de ses lieutenants de génocide contre les Kurdes au cours des campagnes militaires dites Al-Anfal, en 1987-1988, qui ont fait, selon l’accusation, plus de 180 000 morts au Kurdistan. « Les crimes de guerre cernent Saddam de tous les côtés. Il sera condamné à mort tôt ou tard. L’appel ne lui rendra aucun profit, car Washington veut qu’il soit exécuté à tout prix », affirme le Dr Hicham Ahmad, rappelant que ce verdict était énoncé délibérément à deux jours des élections américaines du 7 novembre pour paraître comme une victoire sur les vieux démons de l’Iraq. Un jeu bien calculé de la part du président américain qui voit la popularité de son parti chuter, dans tous les sondages, à cause de son enlisement en Iraq et son échec à y freiner la violence, d’où des pertes humaines considérables parmi les troupes américaines (plus de 2 800 soldats américains tués depuis l’invasion de mars 2003). « Les gouvernements iraqien et américain ont tenté de présenter la condamnation à mort de Saddam Hussein comme un pas en avant pour la sécurité en Iraq. Mais, ce verdict n’apportera rien de nouveau pour ce pays déchiré, car déjà la situation y est au plus bas. La mort de Saddam marque, tout simplement, la fin d’une phase et le début d’une autre, beaucoup plus périlleuse », estime le Dr Mohamad Al-Sayed Saïd sur un ton pessimiste.

* Maha Al-Cherbini écrit pour la version française du journal Al Ahram (Le Caire)