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NIGER

À qui profitent les mines d’or ?

Lundi 18 février 2008, par H B Tcherno

L’accord sur le relèvement des prix de l’uranium signé à Paris entre le groupe AREVA et la ministre en charge de la diplomatie nigérienne continue de défrayer la chronique. Si pour le pouvoir et ses structures relais, il faut célébrer le rétablissement de la souveraineté de l’Etat sur ses ressources naturelles, chez bon nombre de Nigériens prévaut un sentiment de colère mêlée à la déception. Pour contribuer à rendre ce débat moins abstrait, il convient d’examiner les gains effectivement tirés par l’Etat au regard du nouveau contexte des prix, ainsi que les responsabilités sociales de l’Etat comme celles des sociétés minières.

Contexte du marché international des prix des matières premières

Depuis 2002, nous vivons une conjoncture économique caractérisée par une hausse très importante des prix des matières et d’un certain nombre de produits agricoles. Pour la première fois depuis des décennies, les termes de l’échange de bon nombre de pays du sud, notamment ceux producteurs de pétrole, de gaz et de minerais, se sont améliorés.

Le pétrole a franchi le seuil historique de 75 US $ le baril alors que l’uranium a atteint un niveau jamais égalé par le passé avec plus de 130000F CFA la livre sur le marché spot. En février dernier, l’once d’or a franchi le cap de 660 dollars.

Cette envolée des prix des matières premières intervient dans un contexte de croissance de l’économie mondiale. Les Etats-Unis ont pu, en effet, surmonter la crise des années 2000-2001 et retrouvé un niveau de croissance soutenue par la consommation intérieure mais alimentée et financée de l’extérieur. Jouant le rôle de " locomotive économique mondiale ", ils ont entraîné la Chine dans leur sillage. Celle-ci a maintenu un taux de croissance de 10% en moyenne. Ses besoins en combustibles et en matières premières ont dopé les prix de ces produits sur le marché mondial. Ainsi, " entre 2002 et 2005, la Chine a représenté à elle seule, 86% de l’accroissement de la demande d’étain, 51% de celle du cuivre, 110% de celle du plomb et 113% de celle du cuivre ".

A la faveur de l’accroissement de leurs réserves de change, certains des pays du sud ont opté pour le payement anticipé de leurs dettes extérieures et/ou le placement de leurs avoirs à l’extérieur (acquisition de bons de trésor américains ou européens) ; d’autres envisagent de mettre en commun ces énormes ressources dans la création d’institutions alternatives à celles de Bretton Woods. C’est le cas de la banque du Sud censée réunir le Venezuela, la Bolivie, l’Argentine, l’Equateur et le Brésil. Cette dernière stratégie se renforce progressivement de la prise de conscience de l’impasse du néolibéralisme et des difficultés quasi insurmontables de son bouclier principal : l’armée des Etats-Unis d’Amé-rique.

Prolongement du Pacte colonial ?

Eu égard au contexte décrit plus haut, le manque d’audace caractéristique de la conduite des autorités du Niger est, on ne plus surprenant. Le fait est que de nombreux accords et conventions de longue durée signés aux premières heures de l’indépendance ont limité singulièrement les marges de manœuvre des différents régimes qui se sont succédés à la tête de l’Etat.

En effet, les accords de défense signés à Paris, le 24 Avril 1961, entre la Côte d’ivoire, le Dahomey, le Niger et la France permettent à celle-ci de s’arroger un droit de regard sur l’utilisation des ressources minières et énergétiques des trois pays classées produits stratégiques. Ce contrat d’exclusivité relative a souvent été interprété comme la contrepartie du soutien militaire français aux régimes politiques installés après l’indépendance. En outre, les conventions de longue durée relatives aux conditions d’établissement et de fonctionnement de la SOMAIR et de la COMINAK signées respectivement le 2 février 1968 et le 9 juillet 1974 entre la République du Niger et les deux sociétés, garantissent à celles-ci " la stabilité des conditions générales, juridiques, économiques, financières et fiscales " dans lesquelles celles-ci exercent leurs activités, et " telles qu’elles résultent de la législation et de la réglementation applicables à la date de sa signature aux exploitations minières au Niger en général et à l’exploitation des gisements d’uranium en particulier ". Enfin le protocole relatif à la création d’une mine d’uranium au Niger signé le 7 juillet 1967 entre la République du Niger et le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA) garantit à celui-ci "une priorité d’achat sur la production de la Société " à un prix de sa convenance et libellé en CFA.

Le Niger, actionnaire minoritaire (36,6% de la SOMAIR et 31% de la COMINAK), devient de fait spolié de son uranium.

Impact de l’exploitation de l’uranium sur l’économie nigérienne

Il n’est pas difficile d’imaginer quel peut être, dans le cadre juridique ci-dessus présenté, l’impact de l’exploitation de l’uranium sur les divers aspects de l’économie. Il convient d’abord de rappeler qu’en fin 2006 il y a eu quelques 100.000 tonnes d’uranium qui ont été extraites du sous-sol nigérien. Ce qui, sur la base d’un prix moyen de 25.000 FCFA /kg, équivaudrait à 2500 milliards CFA. Le Niger n’aura perçu depuis 1971 qu’un peu moins de 300 milliards. Ce que ne dément pas l’administrateur SOMAIR/COMINAK lors d’un entretien accordé à la télévision gouvernementale, relativement à l’accord sur le prix de l’uranium, le 17 août 2007.

1/ Impact sur les revenus de l’Etat

La contribution du secteur minier, principalement de l’uranium, aux recettes budgétaires était insignifiante sous la première République : 1,3 milliard en 1973 et 1,7 milliard en 1974, redevances et dividendes confondus. C’est pour y mettre un terme en obtenant la revalorisation du prix de cette ressource minière que le Président Diori s’est engagé dans une épreuve de force avec l’ex métropole. L’issue est connue de tous : son régime a été renversé.

C’est sous la junte militaire issue du coup d’état d’Avril 1974 que l’uranium a représenté une part importante des ressources publiques, culminant à 24 milliards CFA soit environ 40% des recettes budgétaires en 1979. Cela était plus lié à l’augmentation de la production consécutive à l’ouverture d’une seconde mine qu’à une envolée des prix. Mais à partir de 1980, avec le retournement du marché de l’uranium, on enregistre une baisse drastique des recettes qui passeront de 18,8 milliards, soit 25,68% à un peu plus de 5,39 milliards en 2002, représentant 3,35% du budget. L’ambitieux programme d’investissements en infrastructures, initié à la fin de la décennie 70, tourne court et le pays se lance dans une politique d’endettement auprès des banques privées, avec à la clé, un désengagement de l’Etat du financement des secteurs sociaux.

2/ Incidence sur les recettes d’exportation et le PIB

Pour mieux rendre compte de ce qu’a représenté l’uranium, il n’est pas superflu de considérer sa contribution aux exportations et au PIB. Il apparaît que ce produit a constitué depuis 1975 la principale ressource d’exportation du Niger (en moyenne 2/3 sur la période). Et cela même lorsque sa valeur a chuté et que son apport aux recettes de l’Etat était des plus faibles.

En revanche, la participation au PIB a été en moyenne assez faible et irrégulière. Elle a progressé de 7,33% en 1975 à 13,09% en 1979 pour ensuite décliner assez régulièrement pour atteindre un plancher de 1,20% en 2002. Depuis lors, la contribution de l’uranium se stabilise autour de 2% du PIB.

3/ Impact en termes d’emplois

L’analyse de l’évolution des effectifs nigériens des deux sociétés minières depuis 1980 fait apparaître une tendance nettement à la baisse à partir 1990. De 3018 employés en 1980, pour l’ensemble SOMAIR/COMINAK, le personnel se réduit à 1600 personnes en 2005.

Les différentes mesures de restructuration, dont la politique d’ " écrémage ", ont réduit drastiquement les offres d’emplois permanents. Parallèlement, les compagnies minières font de plus en plus recours à la sous-traitance. Cela permet de transférer une grande partie de leurs charges à de petites entreprises qui ne respectent pas les normes de protection requises.

Les revenus tirés par ces travailleurs sont à l’évidence inégalement répartis :
les cadres des sociétés minières dont les salaires mensuels varient entre 500.000 FCFA et 2 millions F (300 cadres et leurs familles) ;
les ouvriers des sociétés minières ont des revenus compris entre 100.000F et 500.000 FCFA (environ 2000 et leurs familles) ;
les sous-traitants des sociétés minières vivant de revenus variant de 25.000 à 50.000F CFA (environ 1200 et leurs familles).

Impact de l’exploitation de l’or sur l’économie nigérienne

Pendant longtemps, à la différence de l’uranium, l’exploitation de l’or se faisait de façon artisanale avant l’implantation d’une unité industrielle dans le Liptako en 2003. La production de la SML (société minière dont l’Etat ne détient que 20% du capital) évolue en dents de scie : 1,605 tonne en 2004, 4,962t en2005 puis 2,628t en 2006. Cette production est associée à celle de l’argent dont les valeurs respectives pour les trois années sont 21kg ; 201kg et 199kg.

Au regard de la contribution globale du secteur minier, la contribution aux recettes budgétaires est très insignifiante et assez irrégulière : 276 millions CFA en 2004 ; 1579 millions en 2005 et 1280 millions en 2006. De plus, ces recettes ne reflètent pas la contribution attendue, puisque certaines données relatives à des impôts auxquels SML est astreint sont inexistantes (impôt sur le bénéfice industriel et commercial, droit de sortie et dividendes distribués notamment). C’est dire que la gestion de cette société est des plus opaques.

Quant à la contribution en termes d’emplois créés, elle est loin d’être substantielle : 186 employés en 2004, 197 en 2005 puis 109 en 2006. De plus, la mobilité des travailleurs est un phénomène très accentué car SML réprime énergiquement l’action syndicale.

Responsabilité sociale des entreprises et de l’Etat

Les impacts des exploitations minières ne sont pas seulement positifs et d’ordre financier. Les conséquences sur l’environnement, l’hygiène, la santé des populations et la sécurité au travail peuvent être très néfastes. C’est le cas du département d’Arlit, siège des deux mines d’uranium, qui est confronté à la contamination de l’eau et de l’environnement par la radioactivité. Les pâturages sont devenus rares à cause des rejets industriels. En outre, des menaces pèsent sur la santé des travailleurs et des populations des deux cités minières.

C’est également le cas du site aurifère de Samira (Liptako) qui produit des rejets très importants de cyanure très nocif pour l’environnement. Aussi, les conditions de vie dans les exploitations artisanales sont infra humaines. Dans les deux cas les populations riveraines sont loin d’être bénéficiaires.

Le concept de responsabilité sociale des entreprises intègre les préoccupations d’ordre social, environnemental et de gouvernance aux stratégies économiques et commerciales de celles-ci. Il est la déclinaison pour les entreprises de la notion de développement durable. Imposé par les Organisations de la société civile (OSC), il est l’expression d’une volonté d’infléchir la logique de profits des entreprises par la prise en compte des questions sociales.

Pour prévenir et minimiser les impacts négatifs des exploitations minières sur l’environnement et veiller au maintien des conditions sanitaires, d’hygiène et de sécurité au travail, l’Etat dispose d’un cadre réglementaire et de structures administratives affectées aux missions de contrôle sur le terrain. Mais la réalité est toute autre et la gestion de ce secteur échappe au contrôle des services compétents en la matière.

Rôle de la société civile

Il appartient donc aux organisations de la société civile d’engager des actions pour contraindre les entreprises à assumer leur responsabilité sociale, en particulier à respecter les cahiers de charges annexés au certificat de conformité environnemental. Il convient également d’exiger la publication régulière des bilans annuels des sociétés minières et de réaliser des audits citoyens de tous les aspects de l’exploitation minière.

Au niveau de l’Etat, il est impératif qu’il confirme son adhésion à l’ITIE. De plus, l’adoption d’une loi sur l’accès à l’information serait un gage de bonne foi.

Un partenariat avec les ONG du Nord peut donner des résultats à l’exemple de la collaboration CRIIRAD (France) - Aghiri’ in man (Niger) qui a permis de réaliser des mesures radiologiques mettant en évidence un taux anormalement élevé de radioactivité à Arlit.

Enfin, il est important de questionner la viabilité de la conception rentière de l’économie en vigueur dans le pays pour poser en termes nouveaux la problématique du financement du développement.

Références bibliographiques :

1/Convention de longue durée relative aux conditions d’établissement et de fonctionnement de la SOMAIR ;

2/Convention de longue durée relatives aux conditions d’établissement et de fonctionnement de la COMINAK ;

3/Protocole relatif à la création d’une mine d’uranium au Niger ;

4/La situation de la prospection et de l’exploitation minières au Niger, Journée parlementaire d’information, Ministère des Mines et de l’Energie, Niamey, 7Mai 2007 ;

5/Statistiques Minières, Ministère des Mines et de l’Energie ;

6/Communication de l’ONG sur la vie des populations du département d’Arlit aux journées de réflexion sur les industries extractives, Niamey, 12-13 Juillet 2006 ;

7/Lois minières ;

8/www.cadtm.org.


Voir en ligne : www.alternative.ne